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Eisenhower, Jefferson, Franklin… Ces noms de présidents américains sont aussi ceux des sommets qui composent le chaînon Presidential, dans le New Hampshire. Point culminant, le Mont Washington subit l’une des pires météo des États-Unis : les vents les plus violents du monde y ont été enregistrés (372 km/h) et l’hiver la température peut descendre à -44° ! C’est pourtant là que sont partis Éloi et ses amis, pour un week-end de trek dans le brouillard des montagnes Blanches.
La voiture pleine à craquer, je suis en compagnie de joyeux lascars : Louis et Arthur, amis français expatriés pour leurs études au Canada, ainsi que Camille et Olivier, Québécois et amoureux des grands espaces. Nous profitons de ce long week-end pour nous confronter à un trek mythique, la chaîne des Présidentielles et sa météo capricieuse.
Partis de Montréal à 6h ce matin, nous avons mis 7h de route pour rejoindre le parking au pied du Mont Adams. Le passage de la frontière américaine, interminable, a duré plus de deux heures… L’objectif de cette fin d’après-midi est de rejoindre le petit camp au pied du Mont Adams, à la lisière de la zone alpine. Une source permet de se ravitailler en eau et les arbres protègent bien les tentes du vent.
Un gros dénivelé de 1200m nous en sépare, l’ascension dure environ 2h30. L’été indien a enflammé la forêt : les hêtres, bouleaux et érables se consument dans un brasier aux tons pourpres, cuivre et vermillon. Je m’émerveille de ce spectacle. Puis, petit à petit, les feuillus laissent place aux résineux, plus résistants à l’altitude et à la vigueur du climat de haute montagne.
Le petit camp se découvre au détour d’un virage, dans la pénombre. Nous saluons quelques trekkeurs blottis auprès d’un feu, et montons le camp. Un panneau nous met en garde : il est formellement interdit de dormir avec sa nourriture, sous peine de 5000$ d’amende. Cela attire les ours et perturbe leurs habitudes. Tout doit être placé dans un baluchon, y compris le dentifrice, à 5m de hauteur entre deux arbres. Pourtant ce ne sont pas les assauts des plantigrades que nous craignons le plus, mais ceux du très rusé « racoon ». Oli s’est déjà fait voler sa nourriture une nuit, le raton laveur avait réussi à ouvrir la fermeture éclair de son sac avec sa griffe…
Le temps est pluvieux et la brume ne quittera pas la forêt ce soir-là. Nous nous endormons profondément après quelques histoires autour du feu et un bon vin rouge.
Lever de bonne heure, la journée va être intense ! L’objectif est d’arriver au moins au Mont Washington, pour pouvoir finir le trek dimanche. Une petite rivière permet de se ravitailler en eau, que nous stérilisons avec des pastilles de chlore. Environ 500 mètres avant le sommet, un panneau nous met en garde : nous arrivons dans la zone alpine. À partir d’ici, le sentier en pierre est remplacé par des gros blocs de moraine. La marche y est beaucoup plus compliquée, dans un brouillard à couper au couteau, et sur des blocs instables et glissants.
Nous nous perdons au sommet, après avoir raté un cairn : la visibilité est quasi nulle, et le vent violent n’arrange rien. Il n’y a aucun chemin. Cela ne sera finalement pas plus mal : déjà en retard sur notre itinéraire, nous décidons après une longue réflexion d’abandonner notre objectif initial, en grande partie à cause de la météo. Nous ferons le tour du Mont Adams et camperons au Star Lake, au pied du Mont Madison.
La désescalade du Mont Adams est ardue, dans une pente de moraine abrupte. Toujours en plein brouillard, le soleil perce enfin l’épaisse couche de nuages juste avant l’arrivée au Star Lake. Évoluant à l’aveugle depuis la veille, nous sommes subjugués par le spectacle. Les vents violents chassent des langues de nuages qui dévalent les pentes abruptes et sauvages de la face sud du mont Madison. Pas une habitation, que des forêts de résineux à perte de vue, agrippées au relief escarpé. La montagne est majestueuse et sauvage, nous retrouvons ce sentiment de coupure avec le monde citadin que nous avions seulement connu, avec Louis, dans les forêts du Grand nord lapon…
Le Star Lake brille au loin comme un miroir. Le sol autour est une sorte de tourbe gorgée d’eau, rougeoyante. Nous établissons notre deuxième campement non loin du lac, et à l’abri derrière un gros rocher. Arrivés tôt, nous nous délestons de nos sacs pour gravir le mont Madison. L’antenne de la station météorologique du mont Washington perce la couche nuageuse, et le soleil nous irradie. La puissance du ciel s’exprime devant nous : des nappes de nuages dévalent les pentes du mont Adams et s’engouffrent dans la vallée à une vitesse folle, des tourbillons s’agitent au sommet, c’est impressionnant. Le vent hurle, attaque les crêtes, lacère la végétation.
Nous admirons ce spectacle une heure durant, au sommet du Mont Madison. Nous comprenons maintenant mieux les différents récits de sauvetages et les mises en gardes quant à la rudesse des lieux. Au croisement de trois courants climatiques, le Mont Washington subit l’une des pires météo d’Amérique. Le mercure peut descendre jusqu’à -44°C en ressenti. Le premier observatoire météorologique avait été construit en 1870, et à l’époque, les équipes de météorologues y vivaient en autarcie durant tout l’hiver, la voie menant au sommet étant impraticable à cause de l’accumulation de neige…
Nous redescendons et passons la soirée à manger nos plats lyophilisés. Je m’étonne que les autres ne mettent pas le sachet d’épices dans leur ration. Ils éclatent de rire, et je comprends soudain le mauvais goût de mon plat hier soir : j’avais mis la poudre anti-humidité toxique dans mon chili con carne ! Le boulet ! Bon je croise les doigts, mais je n’ai pas eu de maux de ventre jusque-là ! La nuit couvre petit à petit notre camp, la Grande Ourse nous salue.
Lever 5h30. Le froid saisit mais la lumière dorée du soleil irradie la tente. Nous sommes comme des enfants, émerveillés par le spectacle de l’aurore. Les nuages remontent de la vallée, s’engouffrent dans le col à toute vitesse et sont rejetés de l’autre côté avec force. Au petit-déjeuner, Camille demande à Olivier : « T’as-tu vu ma tuque ? ». Nous nous regardons en souriant, un peu perplexes, tuque ? « Oui tuque, ça veut dire bonnet en Québécois ! »
Il faut environ 3 heures pour passer le col et retrouver le parking. Durant la descente, je parle avec Arthur de ce trek que nous venons de vivre ensemble. Nous avons adoré cette coupure dans nos vies citadines, en pleine nature, et coupés de nos portables. Ce trek dans la chaîne des Présidentielles nous a marqué, tant par la majesté de ses sommets, que par sa beauté amplifiée par la météo si extrême qui y règne. Nous espérons un jour y retourner, et peut-être relever le défi de sa traversée entière en une journée, que seuls quelques trekkeurs chevronnés réussissent à accomplir…
À notre retour, nous concluons ce beau trek dans les Présidentielles à la Banquise, célèbre bar à poutine à Montréal. Santé !
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