Temps de lecture : 9 minutes
À l’extrême Nord-Ouest du Canada, entre l’océan Pacifique et les Rocheuses, la Colombie-Britannique est une province à la nature brute. Pays des grizzlis, des orques et des wapitis, elle abrite sept parcs nationaux et des dizaines de parcs provinciaux, parmi lesquels les monts Chilcotin du Sud, au nord de Vancouver.
Des prairies remplies de fleurs sauvages, des lacs limpides, des glaciers, des champs de neige, des vallées boisées, des massifs rocailleux et des montagnes désertiques… Le parc provincial des monts Chilcotin du Sud offre à lui seul une rare diversité de paysages parcourus par des kilomètres de sentiers qu’Anthony et ses amis, Alexis et Alexis, sont partis explorer.
Mais malgré une carte, une application GPS et toute leur bonne volonté, la nature sauvage du parc ne se laisse pas si facilement aborder…
Début juin, je recevait un appel d’Alexis Malin et d’Alexis Adrian. Ils préparaient un voyage au Yukon et me demandaient si j’étais intéressé. La tentation était trop grande… J’acceptais immédiatement. Mais mauvaise surprise : le Yukon exigeait alors deux semaines de quarantaine à l’arrivée. Il fallait revoir nos plans.
On voulait de la nature sauvage, un endroit reculé, des montagnes à perte de vues. Après quelques recherches, on décidait de partir en trek dans les monts Chilcotin du Sud, au nord de Vancouver. On n’avait qu’une vague idée de ce qui nous attendait. Une vidéo de Brice Portolano visionnée il y a déjà six ans, quelques photos sur Reddit, mais pas grand chose de plus.
Ce qu’on savait, en revanche, c’est qu’une grande partie du réseau de sentiers du parc fut établi par les nations autochtones Tsilhqot’in, St’at’imc et Secwepemc, qui s’y déplaçaient à pied et à cheval. Dès les années 1930, des mouvements s’étaient élevés pour empêcher l’exploitation forestière et minière de la région. La bataille a payé : en 2010, le gouvernement de Colombie-Britannique a officiellement créé le parc provincial des monts Chilcotin du Sud.
Un mois plus tard, nous voilà à Vancouver. Après une nuit en auberge, direction les montagnes. Le trajet se fait en deux jours, Google Maps nous indique seize heures de route. À la sortie de Pemberton, on prend la Hurley Forest Service pour cinquante kilomètres de route de gravier cahoteuse. Des virages en épingle à cheveux, sans glissières de sécurité, et le lac Anderson en contrebas. Arrivés près d’un barrage, au lac Carpenter, on se gare et on dresse le camp pour la nuit.
Au réveil, on prépare nos sacs pour le départ officiel de notre trek dans les monts Chilcotin du Sud. On rejoint le sentier Taylor Creek et l’aventure peut commencer. Excités, on enfile nos lourds sacs à dos et on commence rapidement à marcher. Très vite, le sentier semble de moins en moins aménagé. Au bout de quelques kilomètres, on ne sait même plus où aller. Surpris, on sort la carte : ce n’est pas la bonne trace. Faux départ.
Alors que nous commencions à rebrousser chemin, un ours noir apparait à vingt mètres de nous. Il s’enfuit rapidement et on reprend la route. Notre erreur en valait la peine ! On rejoint finalement le bon sentier et, après quinze kilomètres, on arrive à une vieille cabane de mineur. Dans les années 1900, la région comptait plusieurs sites de prospection. Les hommes empruntaient ces sentiers à la recherche d’or.
Le lendemain, on repart sur le sentier en passant par l’Eldorado Pass, qui nous offre un superbe panorama sur les montagnes, parcourues de cours d’eau se déversant le long de leurs flancs. On aperçoit pour la première fois les zones alpines, avec encore beaucoup de neige.
On poursuit jusqu’au lac Spruce. Après avoir repris nos forces avec quelques barres énergétiques et noix, on s’enfonce dans la forêt pour rejoindre le lac Hummingbird, sur les rives duquel on dresse la camp pour la nuit.
Notre troisième jour de trek dans les monts Chilcotin du Sud commence avec le Deer Pass et quatre kilomètre de dénivelé bien relevé. La montée est longue et difficile. On marche en silence, écoutant le bruit de nos pas, notre souffle, le craquement des branches, le vent… Au sommet, se dévoile un magnifique plateau alpin. On monte nos tentes à côté d’un petit lac, à un peu plus de 2 000 mètres d’altitude, entouré de montagnes arides aux tons de brun, de cannelle et de mauve.
Le déjeuner avalé, on se lance dans l’ascension d’un petit sommet qui surplombe notre campement : le mont Salomon, selon la carte. Une heure de « scrambling » — pas tout à fait de la randonnée, pas tout à fait de l’escalade — plus tard, on découvre une vue imprenable sur toute la chaîne et ses vallées. On est ravis, mais on s’aperçoit finalement qu’on est en fait encore bien loin du Mont Salomon ! N’étant pas sur notre carte, on baptise le petit mont sur lequel on se trouve « mont Triple A », pour Alexis, Anthony et Alexis. Pourquoi pas ?
La météo est particulièrement instable. En seulement quelques heures, on passe d’un grand soleil à une fine pluie, un déluge de grêle, du tonnerre et, de nouveau, un grand soleil… Il faut l’avouer, se trouver à des kilomètres de la civilisation peut être assez stressant par moment. Je glisse tout de même ma tête hors de mon sac de couchage pour profiter du coucher de soleil et je m’endors paisiblement.
Aujourd’hui, départ pour le Mont Sheba, point culminant de la région. Le début est agréable, sous un beau soleil. On traverse de vastes étendues lunaires. Au bout de quelques kilomètres, le sentier se fait — une fois n’est pas coutume — de moins en moins visible. On essaie de trouver des traces de pas, des indices que d’autres randonneurs sont passés par là, mais rien n’y fait. On ressort la carte.
Un peu plus loin, en contrebas, on distingue un petit lac. Notre campement du soir se trouve proche d’un lac, justement, et il n’y en a pas d’autres aux alentours. Bingo ! Pourtant, le dénivelé qu’indique la carte ne correspond pas avec notre position sur l’application GPS… ni même la direction. Il doit y avoir une erreur.
Sans autre solution, on part tout de même en direction du lac. Mais après avoir descendu à travers les buissons, les arbres et les roches, surprise : ce qui nous semblait être une grande étendu d’eau, de là-haut, n’est en réalité qu’un minuscule étang. Désespérés, on remonte par le flanc d’une autre montagne.
Ultime outil à notre secours, Alexis sort le drone pour explorer la zone. Pas de lac. On tente de traverser un éboulis pour arriver de l’autre côté du mont. Les roches anguleuses s’effritent sous chacun de nos pas. On avance sur les cailloux très, très lentement. Un glissement de terrain nous entraînerait tout en bas… Arrivés en haut ? Toujours pas de lac.
Changement de tactique, on prend la direction d’un ruisseau qui semble s’écouler de l’autre côté de la montagne. L’eau doit bien venir de quelque part… comme un lac ? On remonte donc le cours d’eau et, après deux heures et demi à crapahuter et glisser sur les rochers, le voilà, enfin, ce petit lac alpin, à 2 360 mètres d’altitude ! Soulagés et exténués, on se jette dedans.
On monte le campement et, après une petite sieste bien méritée et le diner, on prend le sentier qui nous amène au Mont Sheba. Ils sont deux sommets, en vérité, et ont un temps porté le nom de « Mount Sheba’s Tits », donné par les prospecteurs de la région en l’honneur de la mythique reine de Saba, avant que les cartographes offusqués ne le raccourcissent… On grimpe entre les roches et la neige, contents d’avoir laissé nos sacs à dos en bas. Arrivés sur l’un des sommets, une vue spectaculaire sur les montagnes au soleil couchant se dévoile. Le quatrième jour de notre trek dans les monts Chilcotin du Sud prend fin.
Je rampe hors de ma tente pour prendre un petit-déjeuner. Au programme de la journée, quinze kilomètres pour rejoindre le lac Spruce. On enchaîne les sommets, en marchant sur les crêtes, puis on dévale un dernier chemin caillouteux avant de retrouver la forêt.
Le tonnerre se fait entendre alors que nous arrivons au campement. Alexis décide de sortir la canne à pêche. Trente minutes plus tard, quatre truites arc-en-ciel ont déjà mordu. Ce soir, c’est poisson frais ! Le repas lyophilisé attendra.
Un café et une tasse de gruau plus tard, nous voilà partis pour les ultimes vingt-cinq kilomètres. Grosse journée. Une interminable montée nous ramène à l’Eldorado Pass, puis au sentier Taylor Creek, que nous avions emprunté le premier jour. Autant dire il y a une éternité !
Les derniers kilomètres sont difficiles, on compte nos pas mais on avance, chassés par les moustiques et la pluie. On aperçoit enfin notre voiture qui marque la fin de notre aventure. Il était temps : on repart rapidement en direction de Pemberton sous un déluge. De retour en ville, on s’empresse d’aller acheter quelques bières et un burger… Après une semaine de trek dans les monts Chilcotin du Sud, l’un des endroits les plus sauvages qu’on ait visité, c’est mérité, non ?
Vidéo de Alexis Malin avec Alexis Adrian et Anthony Morell
Thématiques
INSTAGRAM — Rejoignez la plus grande communauté de nouveaux aventuriers