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Partir en trek, c’est toujours la promesse de découvrir des paysages exceptionnels. Si le rythme lent de la marche permet d’en profiter, il favorise aussi les rencontres avec les habitants. De ces échanges peuvent naître des moments rares, ce que Thibault Dumont, parti de Paris à Marseille à pied, nous a partagé dans un épisode de notre podcast, Les Baladeurs. Théo Arnaud-Fassetta peut aussi en attester. Quand il a retrouvé un ami népalais pour le suivre sur un trek hors des sentiers battus, il s’est retrouvé immergé au sein de la culture locale et a été accueilli comme un membre de la famille partout où il est passé. Il nous prouve qu’au-delà des lieux, ce sont les gens qui donnent à l’aventure une autre dimension.
La première fois que j’ai rencontré Narayan, c’était en décembre 2021, à Paris. Il était venu soutenir sa thèse de géographie au sujet de l’évolution des risques naturels en Himalaya, sur laquelle il travaillait depuis trois ans. Je lui avait fait part de mes projets de voyage et de mon souhait de faire un trek au Népal. C’est ainsi qu’il m’avait invité tout naturellement chez lui à Pokhara, heureux de me faire découvrir son pays.
1er février 2022. Me voilà dans l’avion, direction Katmandou. En sortant de l’aéroport, je me trouve immédiatement plongé dans ce qui me semble être un fouillis total de voitures, piétons, scooters, animaux… C’est un mélange d’odeurs, de klaxons, de pollution. Je suis à la fois émerveillé et choqué, prenant des photos de la rue à travers la vitre pendant ces trente minutes de taxi.
Arrivée à mon hôtel, dans le quartier de Tamel, le personnel est très heureux de m’accueillir. Ils n’ont quasiment pas eu de clients étrangers depuis le début de la crise sanitaire. Je profite de cette « escale » de 24 heures à Katmandou pour faire des photos de rue et acheter (en négociant, bien sûr) une écharpe en soie dans l’une des nombreuses boutiques de la capitale. Je ne pense pas que ce soit réellement de la soie, mais le vendeur est plutôt convaincant.
Le lendemain, mon vol pour Pokhara est annulé à cause d’une météo exécrable sur la chaine himalayenne. Je n’ai aucun moyen de prévenir Narayan. Un Népalais me prête son téléphone et j’arrive à joindre mon hôte. Il envoie Amit, son beau-frère pilote d’avion qui travaille à l’aéroport de Katmandou. J’apprendrai bien vite que les Népalais ont toujours un cousin ou un beau-frère disponible pour aider. Trois heures plus tard, je me retrouve dans un taxi avec deux inconnus, conduit par un chauffeur roulant à toute vitesse et klaxonnant dès qu’il croise ou double une voiture (rien de plus normal au Népal).
J’arrive chez Narayan, à Pokhara, huit heures et deux-cent kilomètres plus tard. Son épouse, Joy-ti, et toute sa famille est là pour me souhaiter la bienvenue. Ils me passent des écharpes colorées autour du cou et m’appliquent le tika sur le front (peinture rouge bouddhiste pour souhaiter la bienvenue). Nous buvons de l’eau chaude (les Népalais boivent de l’eau chaude avant le repas pour se réchauffer) et je mange mon premier « dal bhat » (plat typique de riz et lentilles). Le premier d’une longue liste : j’aurais droit à une hospitalité tout bonnement incroyable pendant mon séjour, mangeant plus de cinq fois par jour !
Après une semaine passée à Pokhara, je quitte la maison familiale pour cinq jours de trek avec Narayan vers son village natal, Arthar Dandakharka, dans la région de Parbat, à l’ouest du Népal. Nous partons à 7 heures du matin après un petit-déjeuner conséquent préparé par Joy-ti. Nous sommes rejoints par Santosh, le meilleur ami de Narayan, avec qui nous avons bu un verre de Kukhri (whisky des Gurkhas, soldats népalais de l’armée britannique) la veille. Je suis étonné de voir que Santosh porte le sac de Narayan. Il y a une culture du respect des plus âgés et de ceux qui ont fait des études ici. D’ailleurs, les Népalais baissent la tête comme pour s’agenouiller lorsqu’ils rencontrent un membre plus âgé de leur famille.
Nous marchons à une allure très lente pendant plusieurs heures, discutant au moins dix minutes avec chaque personne que nous croisons. Les gens des montagnes ne parlant quasiment pas anglais, la communication est un peu difficile pour moi. Nous nous arrêtons manger un dal bhat dans le village natal de Joy-ti, où nous sommes reçus comme des rois. Une fois n’est pas coutume, j’ai droit aux écharpes et au tika. Au moment du dessert, Amrit, l’autre beau-frère de Narayan, nous rejoint. Je réalise qu’il est une véritable rock-star au Népal. Chanteur du groupe Nepathya, l’un des plus célèbres du pays, il fait des tournées internationales ! Il m’explique humblement qu’il passe sa vie à parcourir les montagnes à pied, à la rencontre des habitants qui lui apportent son inspiration.
En fin de journée, nous arrivons à trouver un gite ouvert perdu dans les collines. Ce n’est pas la période touristique, et la Covid a laissé des traces. Le gardien du refuge, également fermier, habite ici avec sa famille et nous prépare des chambres. Il y fait très humide et froid, mais nous sommes contents d’avoir un toit. Nous passons la soirée à boire, manger – du dal bhat, bien sûr – et rigoler, parlant moitié népalais, moitié anglais – heureusement que Narayan est là pour me faire la traduction.
À 8 heures, le lendemain matin, nous entamons le deuxième jour de ce trek au Népal en nous enfonçant dans la forêt. Nous faisons encore plusieurs rencontres en chemin. Chemin que nous perdons, d’ailleurs. Un groupe de femmes parties cueillir des herbes nous remettent sur le bon tracé. Les sentiers de randonnées ne sont pas balisés et même les locaux s’y perdent. Mes deux compères n’ayant pas fait la route depuis longtemps, ils m’annoncent que l’étape d’aujourd’hui ne durera que 3h30. Au bout de cinq heures de marche, nous sommes de nouveau perdus dans la forêt.
Pas de réseaux pour demander de l’aide ni même de GPS. Nous finissons par sortir de la forêt et rencontrons un fermier dans son champ. Il nous indique la route et nous lui achetons des épinards pour quelques roupies. Ce sera parfait pour le dal bhat de ce soir.
Au bout de huit heures de marche, nous arrivons au gite. Cette fois, je découvre un grand complexe de plusieurs refuges et restaurants en pierre qui paraissent fermés ou laissés à l’abandon en cette saison. Le lieu est rempli de voyageurs en haute saison. mais nous avons le luxe de l’avoir pour nous tout seul aujourd’hui. Seuls des ouvriers locaux sont présents, occupés à remettre des pierres sur le sol.
Je laisse Narayan et Santosh négocier le prix de la nuit auprès du propriétaire. Paraissant quelque peu éméché, le visage et les mains marqués par la vie et la montagne, il nous offre un verre d’eau chaude, du thé, des biscuits et nous prépare un feu dans l’arrière cuisine. Il vit ici avec son épouse. Leurs cinq enfants sont descendus en ville pour étudier. Nous dînons avant de filer nous coucher. Je ne peux m’empêcher de prendre une « douche » avec le peu d’eau froide laissée dans un seau à disposition, passant pour un fou auprès de mes deux compères népalais emmitouflés dans leurs sacs de couchage.
Nous reprenons la route le lendemain matin dans le froid et le brouillard pour une dernière étape de notre trek au Népal jusqu’à Arthar Dandakharka. Les rencontres s’enchainent de nouveau. Tout le monde se connait dans ces montagnes. Nous blaguons avec un groupe de femmes portant des branches sur leurs dos. L’une d’elles me demande de la prendre en photo.
Nous arrivons vers midi au fameux village. Narayan m’indique de passer devant et de marcher en premier car je suis son invité. Tout le monde m’accompagne du regard et me dit « Namaste » en joignant les mains. L’accueil dure une bonne heure durant laquelle on nous remet des écharpes, des tikas et des fleurs.
Narayan est un héros dans son village. Né dans une famille simple, il est le seul d’une fratrie de cinq à être devenu ingénieur, puis docteur en géographie. Il entreprend un projet d’infrastructure hydraulique, d’apports d’eau potable et de construction de ponts, ici où il n’y avait qu’un point d’eau pour tout le village jusqu’à présent. Désormais, chaque famille a une arrivée d’eau devant sa maison.
Nous faisons la tournée des foyers. On nous offre à boire et à manger (je vous laisse devenir le menu). Je n’ai bientôt plus de place autour du cou pour recevoir les écharpes de bienvenue. Narayan fait un discours à chaque arrêt, applaudi par les villageois. Je réalise la chance que j’ai d’être présent.
Nous poursuivons avec la tournée des sites de construction. Je reste stupéfait devant un groupe d’ouvrières faisant des aller-retours du haut en bas du village. Il n’y a pas d’engins mécaniques ni d’électricité ici. Elles portent les pierres destinées à la construction des points d’eau dans un panier sur leurs dos, sanglé sur leurs épaules et leur tête.
Nous passons ainsi le reste de la journée à visiter le village, dont la seule école primaire de la région où les enfants viennent à pied après une marche de deux heures sur les chemins de montagnes. Nous rencontrons les habitants, buvons, mangeons, rigolons…
Le soir venu, les habitants ont organisé une fête pour nous souhaiter la bienvenue. Tous les villageois sont là. Nous nous asseyons autour d’une table sur la place principale. Une enceinte est installée et des danseuses font des chorégraphies dans leurs tenues traditionnels. Je suis émerveillé devant le spectacle. La musique et le bruit métallique des bijoux qui s’entrechoquent m’hypnotisent.
Le chef du village prend ensuite la parole pour féliciter le travail des ouvriers et de l’association de Narayan. Il me remercie également de ma venue. Je suis tout ému. Commence ensuite une fête immense et tout le village vient au milieu de la place pour danser. Les jeunes font la queue pour prendre des photos avec moi, ils ne sont pas habitués à voir un Européen ici.
L’ambiance est telle que nous n’arrivons que difficilement à nous extirper de la foule avec Narayan et un petit groupe d’ouvriers pour aller diner dans une hutte avec les participants au projet de construction. Un homme ne cesse de me parler. Il me remercie d’être venu. On m’explique qu’il est « l’annonceur du village ». Son rôle est de crier depuis une place en hauteur, toute la journée, pour raconter les actualités (tout en buvant du whisky !).
Nous passons ensuite la soirée à manger (vous reprendrez bien un peu de dal bhat ?), à boire du khukri et à chanter avec les ouvriers. Un homme joue une sorte d’accordéon, un autre chante à ses côtés. Je joue de l’harmonica, ils ont l’air d’apprécier. Tout le monde se met à entonner des chants népalais. Je sais que je suis en train de vivre un moment particulier. Nous reprendrons la route pour Pokhara le lendemain matin. Le réveil sera difficile, les au revoir encore plus. Mais il y aura, sans aucun doute, une prochaine fois.
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