Faire « la traversée » d’un massif a quelque chose de magique. Comme la promesse d’un achèvement. Une aventure d’un bout à l’autre d’un grand tout, avec tout ce qui pourrait se passer entre les deux de l’évolution du paysage et des cultures aux rencontres inattendues.
Il y a la traversée du massif du Massif Central, que nous avions fait à vélo, ou encore celle du Massif des Vosges. Parmi les itinéraires mythiques, la Traversée des Pyrénées arrive en bonne place. Certains choisissent de la faire en suivant le GR® 10, d’autres, comme Florian, préfèrent tracer eux-mêmes leur route, au grès de leurs envies et des conseils glanés en chemin.
C’est ainsi qu’il est parti pour 48 jours et 1 083 kilomètres de marche à travers les plus beaux sommets, les lacs et autres réserves naturelles du massif franco-espagnol.
Me voilà sur la plage de Banyuls-sur-Mer un 15 août au milieu des vacanciers qui font bronzette. Avec mon sac de 14 kilos et mes chaussures de rando, je fais un peu tache. J’ai pourtant une bonne raison : je pars marcher pour environ 50 jours à travers les Pyrénées. J’ai choisi Banyuls comme lieu de départ de mon aventure car c’est aussi le départ du GR® 10, ou Grande Traversée des Pyrénées, que je vais suivre 1 ou 2 jours avant de tracer mon propre itinéraire. Je ne voulais pas suivre de sentiers tout tracés de type GR®, mais plutôt aviser au fur et à mesure des rencontres, de ma forme et de mes envies.
Je ne traine pas sur la plage. Il est 17 heures et je voudrais trouver un endroit où bivouaquer un peu en dehors de la ville, le vrai départ sera pour demain. Je m’installe au bord du sentier sur un petit promontoire avec vue mer. Parfait ! Quelle chaleur pendant la nuit et beaucoup de vent… Ajoutez à ça l’excitation de commencer cette aventure à laquelle je pense depuis de longs mois, et ça ne sera certainement pas mon bivouac le plus reposant.
La première journée est à l’image de la nuit passée, chaud et venteux. Mais motivé par le fait de faire mes premiers pas, c’est avec le sourire que j’avance. Au cours du 3ème jour, après avoir quitté le sentier balisé, je fais face à ma première galère : l’eau ! Depuis la veille je n’ai pas trouvé de source où faire le plein, l’après-midi arrive et les fortes chaleurs sont là. Je n’ai aucun système de filtre, il m’est donc impossible de recharger dans cette source où sont en train de boire quelques vaches. Ma seule opportunité est de pousser jusqu’au village suivant, ce qui me fait une belle journée de plus de trente kilomètres. Je me jette sur la première fontaine que je trouve et remplie mes gourdes. Ironie du sort, je pose ma tente au niveau du « Circuit des fontaines » ce soir-là.
Canigou, Puig Carlit, les premiers sommets sont là, avec les marmottes, isards et pierriers qui vont avec. La météo est plutôt clémente si ce n’est quelques nuages qui s’invitent régulièrement au moment du diner. Les kilomètres défilent, je suis en Ariège. Je me rends compte que pour me ravitailler il me faudrait faire d’énormes détours. Retour sur les traces du GR® 10, où je trouve un gite qui propose quelques vivres. Ma liste de courses est sensiblement toujours la même : pain, pâtes, fromage, jambon, fruits secs, muesli, quelques fruits et légumes pour les premiers jours et un peu de chocolat pour le plaisir du soir. Le tout me dure 6 ou 7 jours.
Je prends la route en direction du lac de Gnioure où je rencontre Marcel, un ancien berger qui passe ses étés à aider Mario le berger du coin, parti ce jour-là repérer où sont ses brebis. Il s’occupe d’un troupeau de 1 700 brebis libres d’aller où elles le veulent pendant toute la saison d’estive. Le 18 septembre, elles vont devoir revenir en vallée. Mario et d’autres bergers parcourent donc tous les recoins de la vallée pour les repérer et commencer à les rapprocher de la cabane. Durant la soirée, Marcel me raconte les histoires de la vallée, qu’il n’a jamais vraiment quittée en 75 ans. Une belle rencontre.
Deux jours plus tard, je pars pour le port d’Artigues qui marque la frontière avec l’Espagne. Dès le réveil je sens une douleur à l’estomac, elle ne me quittera pas de la journée et c’est à bout de forces que je pose mon camp en contrebas de la crête. Je me rafraîchis à la rivière, mange un peu de riz et vais me coucher sur les coups de 18 heures. Le sommeil est agité. Vers minuit, je ne tiens plus et me force à faire évacuer ce qui bloque un peu plus bas… Je me recouche pas vraiment soulagé.
Le lendemain, je repars fatigué et le début de la journée est chaotique, j’ai l’impression de tourner en rond entre les tas de pierres et lacs qui constituent le paysage. C’est magnifique mais il me tarde de quitter cet endroit synonyme de douleurs. Ai-je bu
une eau polluée ? Je ne le saurai jamais, mais l’affaire est oubliée les jours suivants. La leçon : être plus vigilant sur l’eau que je récupère.
En arrivant au port de Salau (le qualificatif de « port » désigne un col dans les Pyrénées, ndlr), ancien lieu de passage de marchandises, j’apprends être dans la région de l’ours. Isabelle, une Basque également en trek sur la chaine, m’annonce que « c’est dans ce coin que tu as le plus de chance d’en voir ». Chance ? Si je pouvais éviter d’en déranger, ça m’arrangerait !
Faute d’ours, ce jour-là, c’est une colonie de vautour qui m’accompagne pour la soirée. Je m’émerveille devant leur ballet aérien et la vue sur les sommets environnants. Le lever du soleil a aussi quelque chose de magique, en compagnie de chevaux débarqués de je ne sais où pour, comme moi, profiter de cette magnifique lumière.
Toujours dans la région de l’ours, un soir, j’entends des grognements en deux points depuis les sous-bois. Les cris sont proches de moi et semblent se répondre. Cerf ? Ours ? Le dialogue dure tard pendant la nuit et recommence au matin… Prudence. En cas de rencontre il est recommandé de parler doucement pour s’annoncer en tant qu’humain tout en reculant lentement. Garder son sang-froid reste simple en théorie mais comment j’aurais réagi dans le cas d’une rencontre ? Impossible de le savoir.
Je continue seul ma marche vers l’ouest en visant le pic Aneto, plus haut sommet de la chaine de ses 3 404 mètres. Des orages sont prévus lorsque j’arrive à son pied et aucune ascension ne sera possible. Je repars après avoir tout de même pu profiter un court instant d’une vue sur le sommet qui a pris la peine de se dévoiler quelques minutes.
Direction le col de Litérole pour rejoindre la France et gravir le premier 3 000 de ma traversée des Pyrénées. Ce sera pour le lendemain et après avoir escaladé quelques blocs (mon sac est resté en contrebas). La vue y est sublime. Bleus, verts, turquoises, je suis toujours impressionné des différentes teintes que peuvent prendre les lacs en montagne.
Arrivé dans la réserve naurelle de Néouvielle, je décide de monter au pic, histoire de voir ce magnifique espace d’un peu plus haut le lendemain. Le temps est incertain mais il ne doit pas pleuvoir avant l’après-midi, c’est donc en guettant le ciel que j’avance. Une vue à 360° m’attend au sommet, ce qui me permet de voir un ciel noir d’encre au sud-est qui arrive droit sur moi. Je redescends rapidement pour éviter que l’orage ne me tombe dessus. La pluie s’abat rapidement après que je sois redescendu, la brume ne tarde pas non plus et, très vite, je n’y vois plus à 10 mètres.
Après une heure, je fais un point sur mon emplacement et je remarque que je ne suis absolument pas dans la bonne direction. Je tente de rectifier le tir mais aucune chance, il y a une jolie crête entre moi et le chemin visé. La fatigue est là, la pluie n’a pas cessé, je n’ai aucune visibilité et le paysage est constitué exclusivement de gros blocs rocheux. Je marche tout droit en visant un autre sentier qui mène à une cabane de berger.
Je suis trempé lorsque j’ouvre enfin la porte et allume directement un feu pour tout mettre à sécher. Après une bonne nuit au sec, je me lève avant le soleil, ce que je fais presque tous les jours pour profiter du calme matinal et du réveil de la montagne.
C’est ainsi que j’arrive dans le parc national des Pyrénées. Un refuge m’a attiré l’œil. Situé sur la brèche de Tuquerouye, c’est un refuge non gardé. J’apprendrai plus tard qu’il est le plus vieux et plus haut de la chaine des Pyrénées. En y montant, je croise Christian, un Allemand, qui marche depuis fin août à travers le massif. Nous avons un tracé à peu près similaire. La différence vient de notre chargement : lui, il porte 22 kilos sur son dos, chapeau ! On se quitte après s’être échangé 2 ou 3 conseils.
Le refuge domine un lac qui prend source dans le glacier du mont Perdu. Je monte plus encore vers le pic du Grand Astazou et de là j’ai également une vue sur le cirque de Gavarnie et la brèche de Rolland. J’y serai dès le lendemain. En effet, j’y arrive en même temps qu’un orage qui doit durer la journée.
J’avais pensé rester à l’abri au refuge des Sarradets mais un groupe de quatre Basques espagnols me persuade de partir avec eux au pic du Taillon. Pour l’un d’eux, c’est le premier 3 000, ils ont donc amené une petite bouteille de champagne que nous buvons dans une grotte en redescendant. La météo ne s’arrange absolument pas et c’est désormais la grêle qui se mêle à la pluie et aux fortes rafales de vent. Aucun panorama ce jour-là, mais une belle rencontre.
Le lendemain je passe à nouveau la brèche et vais vers la vire des fleurs. La météo est splendide. J’arrive sur un superbe sentier à flanc de falaise où la vue plongeante permet d’apercevoir le mont Perdu, le canyon d’Ordesa ou encore le Vignemale. C’est mon prochain cap et c’est sous la neige que je le découvre plus tard.
Je me réveille au milieu d’un tapis blanc alors que j’avais posé la tente à la base du petit Vignemale. Quel émerveillement, ok il fait un peu frais mais quoi de mieux que de découvrir les Pyrénées sous son aspect hivernal après plusieurs semaines ? Une nuit à côté du pic du Midi d’Ossau sous un bel orage et me voilà sur les sentiers du Béarn.
Je tombe sous le charme du cirque de Lescun, une dentelle rocheuse qui rappelle les célèbres Dolomites. Je profite de ce cadre au maximum. Depuis le début de la marche, j’aime m’imprégner du silence de la montagne qui tombe en début de soirée. Pas un bruit, et avec un peu de chance, une parfaite vue sur la voute céleste.
Vient ensuite le Pays basque, au revoir les sentiers au milieu des pierriers et bonjours le brouillard ! Je rencontre Maëlys qui avance aussi vers l‘ouest. Nous finirons la marche ensemble avant d’être rejoint par Christian, l’Allemand croisé il y a quelques semaines. C’est à trois que nous apercevons pour la première fois l’océan, synonyme de ligne d’arrivée. Il est tout proche mais encore une centaine de kilomètres sont à parcourir.
C’est étrange de marcher en groupe après tant de temps à avancer seul. Comme un premier retour à la civilisation. Notre principal sujet de conversation concerne la nourriture. Nous avons tous terriblement faim. Dans les villages, lors de ravitaillements, je me faisais parfois plaisir avec quelques pâtisseries mais, au fur et à mesure de ma traversée des Pyrénées, c’est devenue une obsession. Le corps est comme un monstre demandant sans fin du carburant pour avancer.
C’est un samedi, en fin d’après-midi, que nous arrivons tous les trois à Hendaye, à la fois ravis et nostalgiques de la marche accomplis. Les derniers kilomètres sur route sont éprouvants et c’est un réel soulagement de sentir le sable sous mes orteils et la fraicheur de l’Atlantique en guise de récompenses.
Il est désormais l’heure de retrouver le confort d’une douche et d’un bon repas. Leur saveur est particulière après ces 48 jours de marche, 1 100 kilomètres et plus de 72 000 mètres de dénivelé. Des chiffres rendus anecdotiques devant la beauté des paysages et l’expérience humaine.
La meilleure période pour parcourir les Pyrénées est de juin à septembre. Trop tôt ou trop tard, vous aurez plus de chance d’avoir de la neige et si vous voulez dormir en refuge la plupart seront fermés, bien que la partie hiver reste accessible.
Il faut compter en moyenne 50 jours mais on peut facilement faire plus suivant les endroits visés, prenant des jours de repos. Chacun ira à son rythme, le plus dur étant peut être de trouver 2 mois de disponible.
Si, comme moi, vous ne suivez pas d’itinéraire proprement marqué, je recommande l’utilisation d’applications regroupant les cartes IGN, de type Géoportail. Attention : certaines applications demandent une connexion réseau, ce que l’on a rarement dans ce type de trek. Sinon, on peut utiliser les bonnes vieilles cartes classiques ou un topo-guide.
Lors de ma traversée des Pyrénées, j’ai visité plusieurs parcs ou réserves. Il est important de s’informer avant d’y pénétrer des règles de bivouac en vigueur. Dans le parc national des Pyrénées, le bivouac est autorisé à plus d’une heure de marche d’un accès motorisé entre 19h00 et 9h00. Côté espagnol, c’est suivant l’altitude est la zone que le bivouac peut être autorisé. Bien entendu, respectez la faune et flore sauvage sans laisser de trace derrière vous. Pour plus d’informations, lisez et signez le Code de l’Aventure Responsable avant de partir.
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