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Les Bauges forment un massif préalpin à cheval sur les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie. Si le point culminant ne dépasse pas les 2 200 mètres d’altitude, les Bauges comptent tout de même 14 montagnes de plus de 2 000 mètres. Un chiffre qui n’est pas sans rappeler les 14 plus hauts sommets de la planète… de plus de 8 000 mètres !
De quoi donner une idée à Jessy et Loris : une traversée du massif des Bauges par ses 14 plus hauts sommets. Après les Eight-thousanders, les Two-thousanders baujus.
Comme quoi, il n’est pas nécessaire de partir à l’autre bout du monde ou dans des conditions extrêmes pour se lancer des défis. Une théorie que nous avons aussi choisi d’aborder dans notre dixième volume papier.
Les Bauges ? Un massif que je connais bien pour y avoir fait quelques balades à pied, ski de randonnée ou VTT. Sa particularité ? Son identité, ses habitants, son patrimoine, ses fromages, son PNR (Parc Naturel Régional) crée en 1995 et ses sommets à plus de 2000 mètres. Mais détrompez-vous : ces altitudes modérées n’en font pas des montagnes à vaches (expression alpine pour désigner une montagne « facile ») ! Cette traversée des Bauges va d’ailleurs nous le confirmer.
Dans le monde, il y a 14 sommets de plus de 8000 mètres. Eh bien les Baujus (habitants des Bauges), eux, ont leurs 14 sommets de plus de 2000 mètres. Facile à retenir ! Avec quelques topos officieux et vidéos glanées sur internet, je me suis motivé à vouloir faire la traversée du massif des Bauges. La plupart des itinéraires partent d’un endroit pour revenir au point de départ. D’autres proposent une traversée en 3 jours, d’autres en tenue de trail légère (François D’Haene pour ne pas le citer) le font en 24 heures. Personnellement, je préfère prendre mon temps.
Mais je voulais faire une traversée des Bauges avec la maison pour arrivée. Je décide donc de dessiner une trace partant d’Ugine pour arriver à Aix-les-Bains en passant donc par ces quatorze 2 000 mètres. Objectif : 5 jours de marche. La trace affichait 130 kilomètres et 10 500 mètres de dénivelé. Deux semaines avant le départ, je croise Loris. Cinq minutes auront suffit pour le convaincre de m’accompagner dans cette petite aventure baujue.
Veille du départ. Simple préparation des sacs avec 4 jours de lyophilisé et le strict minimum (pas de tente). On part tout de même avec 10 kilos sur le dos.
Le départ est donné le mardi 16 juillet à 8h31 d’Ugine (407 mètres). Premier sommet : la Dent de Cons (2 063 mètres). Sa particularité ? Il est isolé sur un chaînon à l’est des limites du Parc naturel régional. Nous filons au col de la Sellive pour finir par une belle sente à chamois (sentier technique) dans le dévers. Si la première partie est un peu aérienne, ce n’est rien par rapport à ce qui nous attend en termes de difficulté.
Il nous faut ensuite traverser la vallée. Je propose à Loris de prendre toute la crête jusqu’à l’Alpette pour redescendre sur le col de Tamié. Une arête indiquée, bien tracée, avec même de la main courante sur certaines parties, mais qui s’avère parfois sacrément exposée. On met bien deux heures pour faire 2,5 kilomètres et 300 mètres de dénivelé positif, tant la partie est technique.
J’arrive même à me faire une entaille à la cuisse à force de trop me serrer à la roche pour ne pas mettre un pied de travers. Pas grave, ça fera un souvenir. La trousse à pharmacie de Loris ne suffit pas, on décide donc de s’arrêter à l’Abbaye de Tamié pour me faire soigner.
Paré d’un nouveau pansement, après un verre de jus de pomme et un morceau de gâteau, on repart vers 18h00 pour nos derniers 600 mètres. Point d’arrivée, les chalets de la Bouchasse à 1 600 mètres.
Bilan de la première journée ? 27 kilomètres, 2 750 mètres de dénivelé et un seul sommet.
Enfin arrivés dans le cœur des Hautes Bauges, on va pouvoir enchaîner les sommets. On attaque cette deuxième journée par la Grande Sambuy (2 198 m) au-dessus de la station de ski. Le passage final nous prouve encore tout le caractère de ces sommets. Pour rejoindre la Pointe de Chaurionde (2 173 m), il nous faut passer dans une brèche et dés-escalader 100 mètres de paroi avant de rejoindre la crête. Premier problème, je ne savais pas où passe l’itinéraire. Second problème, on n’a ni corde, ni baudrier. Par chance, on tombe sur un local qui nous a propose de passer par une fenêtre, en-dessous du sommet, afin de prendre une sente à chèvres en devers et rejoindre plus « facilement » notre 3e sommet de la liste.
Petit arrêt au Refuge d’Orgeval pour manger un bout avec vue sur notre prochain objectif de la journée, l’Arcalod (2 217 m). C’est le plus haut sommet des Bauges. Cette fois, on met en place une stratégie pour s’économiser. Cacher nos gros sacs de rando et grimper en sac de trail. On en fait de même pour le Mont de la Coche – (2 070 m) et Trè Mollard (2 035 m). L’étape a été plus courte que prévu, non par le temps, mais par la distance et le nombre de sommets, avec seulement 17 kilomètres pour 1 500 mètres et 5 sommets dans la journée. On en voulait deux de plus.
On dort à la Croix d’Allant (1 580 m) pour un bivouac avec vue. La ferme d’à côté, très accueillante, nous autorise à faire des réserves en eau. On leur achète un morceau de tome des Bauges et on en profite pour me faire un nouveau bandage avec du miel pour désinfectant. J’émets déjà des réserves auprès de Loris sur nos difficultés techniques et physiques à venir. On se met d’accord : on évitera un passage en arête et on s’accordera un jour de plus pour cette traversée des Bauges.
On repart en direction du vallon de Bellevaux. En traversant un hameau, un couple d’anciens nous dit : « Il y a un petit sentier le long du ruisseau ! Vous prenez à droite puis à gauche puis… » Par où déjà ? On essaie de retenir leurs indications, en vain. Cerise sur le gâteau, on se fait engueuler par la mamie !
« Vous allez où ?
— Direction le Pecloz
— Mais c’est trop tard pour aller là haut ! »
Nous avons certes perdu 1 heure, et il est déjà 10h00, mais on n’est pas plus affolés pour autant. On reprend notre itinéraire. On part sur un premier vallon — bien long à remonter — avec pour objectif un arrêt au chalet des Gardes, histoire de manger et d’échanger avec les responsables du secteur. En effet, cette partie là des Bauges se situe dans une Réserve de Chasse et de Faune Sauvage et, en ce moment, des observations et des captures de chamois et de tétras sont effectuées par l’ONCFS. Nous avons appris qu’il y a encore six mois, certains des sommets que nous voulions faire étaient interdit d’accès par souci de protection environnementale.
Le fameux passage en arête nous laisse perplexes. Je propose à Loris d’effectuer les trois sommets concernés (Arces, Arlicots et Grand Parra) en aller-retour, même s’ils sont tous les trois vierges de tout sentiers. Une fois les échanges terminés avec les gardes, nous laissons nos sacs au chalet afin d’effectuer notre triptyque du jour.
On commence par le Pecloz (2 197 m), on enchaine avec le Mont d’Armenaz (2 158 m) au sud afin de continuer sur le sentier en crête et poursuivre en direction de la Pointe des Arces (2 076 m). Le premier, aux sublimes courbes géologiques, explique pourquoi le Parc jouit aussi du statut de Géopark depuis 2011. Je doute sur le passage pour monter à cette pointe des Arces. On va « drè dans l’pentu », comme on dit en Savoie, entre pierres et végétation basse, pour admirer la vue sur nos sommets passés et les autres à venir.
À défaut de vouloir — et pouvoir — continuer par les hauteurs, on redescend pour changer de vallon sans oublier nos sacs au chalet. On arrive à 21h00 au chalet du Lauzarin, dans le vallon de l’Arclusaz, bien fatigués après 29 kilomètres et 2480 mètres de positif et un brin frustrés d’abandonner ce fameux passage en crête. Mais c’est une question de sécurité.
Pour ma part, je préfère privilégier la traversée des Bauges jusqu’à Aix plutôt que l’ascension des quatorze sommets. Du coup, on laisse tomber la Pointe des Arlicots (2 060 m), qui nous aurait pris trop de temps et d’énergie.
On attaque le quatrième jour avec pour premier objectif le Grand Parra (2 012 m). C’était le dernier des trois sommets que l’on devait aborder de manière « sauvage ». De par son exposition nord-ouest, l’ascension de bon matin est rendue difficile par une végétation très humide. Ne souhaitant pas prendre de risque, je laisse Loris continuer les 300 mètres restant et l’observe avec les jumelles depuis la ferme du chalet des Arbets où nous avions laissé nos sacs.
Après une ascension réussie et une bonne glissade dans la descente pour Loris, l’achat d’un morceau de tome et des très bons échanges avec les fermiers, on reprend la route en direction de notre onzième (dixième pour moi) sommet : la Dent de l’Arclusaz (2 041 m), à ne pas prendre à la légère sur sa partie finale et sa re-descente. Il nous faut traverser la vallée d’Epernay pour remonter en face. La descente est longue, presque une heure et demi pour dévaler les 1 300 mètres. Il est déjà 16h30 quand on arrive au hameau, et il nous reste encore 1300 mètres de positif. On pose les sacs aux chalets de la Fullie, lieu du prochain bivouac. La vue y est vraiment belle…
Mais il nous reste encore 650 mètres à grimper pour accéder au Mont Colombier (2 045 m). Petit coup de fringale pour Loris qui s’enfile quelques barres de céréales, des fruits secs et une pastille isotonique de sodium. Ce n’est pas facile physiquement. Mais je connais les lieux, alors je rassure mon acolyte.
Après 27 kilomètres et 2 100 mètres de dénivelé, la nuit est agréable.
Cinquième jour et dernière difficulté de cette traversée avec le Mont Trelod (2 181 m). Ce dernier petit déjeuner est bien maigre — un paquet de gâteau pour deux et une barre de céréales chacun. On redescend du côté d’Ecole. Après s’être nourris de lyophilisé, quelques morceaux de tomes de fermes et autres produits énergisants pendant 4 jours, on fait étape à la boulangerie bio. Un vrai café et des sandwichs, enfin !
Avec pour maître mot « petite étape », que je répète autant que possible à Loris, on se fait tout de même 36 kilomètres avec 1785 mètres de positif dans la journée. Un dénivelé plutôt faible comparé aux jours précédents, de même que la technicité, avec beaucoup de petites routes. Le Trélod est roulant, je l’ai même fait à VTT il y a trois semaines seulement ! On laisse encore nos sacs chez un sympathique habitant du coin, au hameau de la Chapelle. Arrivés en haut, je suis content de l’aventure, mais je ressens comme une légère frustration de ne pas avoir pu grimper tous les sommets de la manière dont je l’aurais souhaité. Qu’importe, c’est quand même pas si mal !
Pour notre dernier soir dans les Bauges, on fait escale au Châtelard, la capitale du massif. L’occasion de faire un petit ravitaillement pour le dernier jour. Pour le repas du soir, on compte sur la fête organisée au village. Ambiance américaine, on mange burgers, frites, diots (saucisse savoyarde), tout en engloutissant quelques (beaucoup trop ?) bières. On finit à 1h30 du matin, pour dormir dans le potager de Michel, entre deux framboisiers. Rencontré le soir même, il nous a prouvé une fois de plus toute la gentillesse des Baujus.
Réveil musculaire à 7h00, mal de tête. On sent le besoin de prendre une douche, après six jours. Je dis à Loris « petite étape, ça va aller ». Encore une. Encore 35 kilomètres, encore 1 250 mètres de dénivelé. Aujourd’hui, la chaleur est écrasante. Un dernier regard aux sommets baujus depuis la Tour des Ebats au Revard avant de redescendre dans la fournaise d’Aix-les-Bains par le chemin de l’ancienne crémaillère.
6 jours, 172 kilomètres et 12 400 mètres de dénivelé. Mais qu’est-ce qu’on était bien, là-haut…
Photos : Loris Poussin
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