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De l’autre côté du globe, la Nouvelle-Zélande est un mythe pour les amateurs de grands espaces. Les deux îles forment un écosystème unique, où se côtoient plages paradisiaques et sommets enneigés.
Un sentier mythique permet de traverser tout le pays : le Te Araroa Trail, de Cap Reinga à Bluff. Trois mille kilomètres de marche dont Vincent Piton nous rapportait ses souvenirs dans l’épisode 11 de notre podcast, Les Baladeurs.
Quand Dylan Moron est arrivé en Nouvelle-Zélande, il n’avait aucune idée de l’aventure qui l’attendait. Le Te Arora Trail s’est imposé à lui un peu par hasard, mais il a décidé de relever le défi et d’en profiter pour tourner son premier film documentaire, Up and Down.
C’était le 4 octobre 2018. Après un long voyage, j’atterrissais sur le sol néo- zélandais, fatigué mais heureux de voir mon rêve devenir réalité. J’allais travailler quelques mois en attendant l’été, acheter un van pour vivre sur la route et randonner dans ces paysages irréels. Mais la réalité me rattrapait aussi vite : mon passeport avait disparu. Dès cet instant, j’ai senti que tout n’allait pas se passer comme prévu…
Fort heureusement, la police de l’aéroport retrouvait mon passeport quelques jours plus tard. Entre temps, mon voyage avait déjà pris une autre tournure. Thomas, mon meilleur ami, m’avait envoyé un court mais mystérieux article à propos d’une randonnée de 3 000 kilomètres traversant les deux îles de Nouvelle-Zélande : le Te Araroa Trail. Au fil de mes recherches, j’étais surpris de ne trouver aucun documentaire concernant ce trek. Ni une ni deux, je décidais de suivre mon instinct et de partir moi-même à l’aventure pour réaliser mon premier film.
La randonnée, ça me connait un peu. Je pars chaque été avec mes amis marcher dans les Pyrénées. Ce n’est pas 3 000 kilomètres, bien sûr, mais je suis en forme et surtout motivé comme jamais par ce projet. Il me manque cependant un peu de matériel. Le Te Araroa Trail ne s’improvise pas totalement.
En attendant mon colis, je fais du woofing à Tutukaka, dans le Northland. Une famille passionnée de musique m’accueille contre des photos et vidéos de leur groupe de rock. J’aide ensuite leurs amis, à Whangarei. Je peins un garage et réalise des vidéos promotionnelles pour leur entreprise. Deux expériences inoubliables, qui me permettent de m’imprégner de la culture locale, de travailler mon anglais et de patienter jusqu’au jour du grand départ…
21 décembre 2018. Je dis au revoir à Tania, une Maori m’ayant gentiment conduit à Cap Reinga, le point le plus au Nord de l’île du Nord. J’entends encore sa voiture partir au loin alors que je me dirige vers le départ du Te Araroa Trail. Là, se rencontrent la mer de Tasman et l’Océan Pacifique, créant une délimitation naturelle grâce à leurs nuances de bleu. Après un bref arrêt au phare de Cap Reinga, je serre les sangles de mon sac à dos, clipse ma caméra à sa sangle et me dirige plein sud, en direction de la plage de Te-Werahi.
Je termine les 12 premiers kilomètres en arrivant au campement Twilight Beach Campsite. Une fois ma tente montée, j’engloutis mes « noodles » et profite du coucher de soleil, avant de fermer les yeux pour me laisser bercer par le bruits des vagues.
Le lendemain midi, j’entame les premiers kilomètres sur la Ninety Mile Beach – une plage qui s’étend sur 88 kilomètres, malgré son nom. Premier obstacle du périple : la pluie commence à s’abattre. Elle ne cessera pas pendant les cinq prochains jours.
Sur ce chemin monotone, je croise des voitures roulant sur la plage. Qu’est-ce que je fais là ? Comment ai-je pu passer d’un road-trip à une randonnée à travers tout le pays ? J’envisage de faire du stop un instant, avant de me ressaisir. Chaque pas est de plus en plus dur, mon mental est déjà mis à rude épreuve. Je ris, je pleure. Je crie, même, contre le vent et la pluie, incessants.
Deux jours plus tard – toujours sous la pluie – j’arrive au campement de Utea Park. Dans ce camping, perdu entre les dunes de sable, je rencontre Holger, un marcheur allemand. On sympathise rapidement, si bien qu’on décide de louer une chambre pour deux afin de sécher nos affaires et de passer Noël au sec en attendant que la tempête passe.
Holger est un Berlinois qui rêvait du Te Araroa depuis des années. N’ayant que quelques semaines de vacances par an, il fait l’île du Nord et reviendra l’an prochain pour faire l’île du Sud. Je réalise que les marcheurs de longue distance forment une grande famille, soudés par un même objectif. Peu importe l’âge, le sexe, l’origine, on est tous égaux. Chacun est prêt à aider l’autre et le superflu n’a pas sa place, ici. Très vite, je prends la décision d’orienter mon documentaire sur ces figures de randonneurs. Ce sont eux, dans toute leur diversité, qui font l’âme du sentier.
Me voilà à l’intérieur des terres, près de la forêt de Raetea. Il est 9h00, je pénètre dans cet « enfer vert » avec Holger et Luke, un chanteur et compositeur néo-zélandais rencontré quelques jours plus tôt. Luke avait prévu de parcourir le trail en courant, avant de renoncer pour finalement marcher le plus vite possible. Bien qu’il mène la cadence, on évolue très lentement. La boue est omniprésente, les lianes s’accrochent à nos sacs et on enchaîne les erreurs d’orientation. Si la monté est éprouvante, la descente l’est encore plus. On ne cesse de glisser. Je pourrais presque en rigoler, tant certaines de nos chutes sont ridicules, mais je ne pense qu’à une chose : sortir de cette jungle.
Onze heures et seize kilomètres plus tard, nous émergeons enfin de « l’enfer vert », de la boue jusqu’à la taille, pour découvrir un champs de fleurs jaunes devant le coucher de soleil. Le tout accompagné du chant des oiseaux. Un instant féérique qui vient embellir cette journée éprouvante.
Vers la fin de la Ninety Mile Beach, j’avais foulé mes deux chevilles. La douleur était mineure, au début. Mais après toutes ces glissades en forêt, je souffre de plus en plus. Quand j’arrive au campement de Puketi Forest Campsite, mes chevilles ont doublé de volume. Je décide de leur offrir cinq jours de repos, en espérant me rétablir au plus vite.
Ces premières semaines ont été intenses. Mentalement, et physiquement. Je n’étais pas préparé à marcher 25 kilomètres par jour, mon corps me le fait payer. Mais je suis prêt pour le reste de l’aventure.
J’arrive à Picton, sur l’île du Sud, après avoir traversé en ferry le détroit de Cook. Là, je retrouve Emeric, un jeune photographe français lancé sur le Te Araora avec qui je suis en contact depuis mon arrivé en Nouvelle-Zélande.
Quelques jours plus tôt, j’ai dû prendre une décision : mettre de côté la deuxième moitié de l’île du Nord pour espérer marcher l’île du Sud, ayant sous-estimé mon budget. Il est recommandé de prévoir 4500 à 7 000 € pour parcourir l’ensemble du Te Araora Trail. Optimiste, je suis parti avec 3 000 € en pensant que cela serait suffisant. Je me suis trompé.
Cela fait plusieurs jours que l’on marche sur l’île du Sud et le décor à totalement changé. La randonnée prend une toute autre dimension. On évolue en pleine nature, avec des sections de huit jours en autonomie totale, comme dans les montagnes verdoyantes et rocheuses des Richmond Ranges. Ou bien dans le Parc National de Nelson Lakes et ses lacs glacés.
Il y a très peu d’options pour se ravitailler en chemin. Entre chaque section, je récupère mes colis de nourriture envoyés en différents points stratégiques depuis Wellington. J’y ai glissé des wraps, du thon, du beurre de cacahuète, des noodles, du couscous, des barres de céréales mais aussi du gaz et du papier toilette. Ouvrir un colis est toujours un bon moment, qui marque une étape de plus sur Te Araroa Trail.
Une tempête approche. Je revois Courtney une Néo-Zélandaise qui nous avait dépassés. Elle m’explique qu’elle réalise son rêve de faire une randonnée longue distance, et à quel point elle aime son pays et les gens qui y vivent, chaleureux et toujours prêts à aider autrui. Elle me confie qu’à aucun moment de l’aventure elle ne s’est sentie en danger et qu’elle est fière de pouvoir accomplir une telle aventure.
Je continue seul ma marche vers le Sud, avant que de croiser le chemin de Yusuke, alias Ken, un Japonais avec qui je sympathise et échange dans un anglais plus qu’approximatif. Parfois, le langage va au de-là des mots. Un regard, un sourire, un geste peuvent suffire à se faire comprendre. Il me partage sa vision de randonner ultra léger, son besoin de fuir la ville et son envie de fonder une famille ici, en Nouvelle-Zélande.
Avec Ken, on se surprend à marcher au même rythme. C’est tout naturellement que l’on se retrouve, à chaque fin de journée, au campement suivant. Ce soir-là, à Highland Creek Hut, je rencontre aussi Peter, un Néo-zélandais d’une cinquantaine d’années qui parcourt le Te Araroa section par section. Étant policier, il lui est difficile de trouver 4 à 5 mois de libre. Il marche en moyenne 3 semaines par an sur le trek, en reprenant là où il s’est arrêté l’année précédente. L’année prochaine sera la dernière. Il lui aura fallu au total cinq an pour parcourir les 3 000 kilomètres du Te Araroa Trail.
Les kilomètres défilent. Les rencontres, elles, se font de plus en plus rares. Nous ne sommes pas loin d’être les derniers marcheurs de la saison. En ce début d’avril, l’automne est déjà là et la majorité des marcheurs ont bouclé leur trek. Je traverse la dense, verdoyante et boueuse forêt de Longwood, qui me rappelle paradoxalement le début de l’aventure. Puis me revoilà en train de marcher sur une longue plage interminable pour atteindre Invercargill, avant dernière étape.
Il est 22h00, la soirée bat son plein dans un des pubs de la ville. On finit notre bière, on enfile une dernière fois les sacs. C’est le moment. On s’élance sur les 32 kilomètres qui nous séparent de Bluff, point final du Te Araroa Trail. Peu à peu, la musique du pub s’éclipse et laisse place au calme de la nuit.
La longue marche sur la route est éprouvante. Un dernier virage et j’aperçois, malgré l’obscurité, « Stirling Point » et ce fameux panneau jaune, le même qu’au départ. Il est 4h30 du matin, le village est désert. Je m’assoie pour contempler les étoiles en attendant que Ken me rejoigne et je me laisse bercer par le bruit des vagues.
De ces trois mois et 3 000 kilomètres de marche sur le Te Araroa Trail, j’emporte des souvenirs et des images de paysages exceptionnels. Mais aussi, et surtout, des rencontres, des visages et des moments de partage inoubliables.
Pour parcourir le Te Araroa Trail, il est recommandé de commencer fin septembre pour finir avant avril.
Il faut en moyenne 120 jours pour marcher l’entièreté du Te Araroa. Libre à vous de marcher à votre rythme, ce n’est en aucun cas une course de vitesse !
Le budget s’élève entre 4 500 € et 7 000 € pour 4 à 5 mois de randonnée. Marcher dans la nature représente un coût !
La nourriture est le principal poste de dépense. Ensuite, quelques nuits en auberges de jeunesse – notamment pour recharger les batteries et laver ses affaires mais aussi le Hut Pass obligatoire pour avoir le droit de dormir dans les refuges et cabanes sur le sentier. Sur l’île du Nord, on a plus tendance à dormir en campings, car il y a beaucoup de terres privatisées et donc peu d’options pour le bivouac. Il faut aussi prévoir le remplacement éventuel de son matériel qui s’use sur une telle distance, les shuttle-taxis – navettes qui font la liaison entre le trail et les villes pour se ravitailler en nourriture. Sans oublier le ferry entre les deux îles et tous les extras…
Découvrez ci-dessous « Up and Down », le film documentaire de Dylan Moron, sorti en 2019. Avec la participation de Olivier Van Bockstael, Courtney Dorrington, Emeric Passelande, Marian Campbell, Yusuke Takakura et Peter Karam.
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