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Visiter un pays, c’est découvrir ses paysages mais aussi ses habitants, leur histoire et leur culture. Ainsi Elliott Verdier nous racontait son périple de quatre mois à travers les villes oubliées du Kirghizistan, à la rencontre des mineurs de Bishkek à Mailuu Suu. C’est vers un autre bastion de l’ancienne Union Soviétique que Ksenia Vysotskaya s’est tournée : la Géorgie, et plus précisément la Svanétie, petite région du Nord Ouest, où elle a trouvé une nouvelle famille.
Par sa proximité géographique et historique avec la Russie, la Géorgie m’a toujours paru à la fois accessible et entourée de mystères. C’est ce pays que j’ai choisi, à l’automne dernier, pour réaliser ma première série photo documentaire. Mais le projet, au départ culturel, s’est vite transformé en une véritable aventure ponctuée de découvertes et de rencontres insoupçonnées.
Mon projet initial était d’aller dans les montagnes de Touchétie (région de Géorgie située à la frontière russe) pour y suivre les bergers en transhumance. J’avais tout préparé : tente, sac de couchage pour 0°, chaussures de marche… Ma seule inquiétude concernait le trajet de la capitale jusqu’en Touchétie, connu comme l’une des routes les plus dangereuses du monde. En arrivant à l’aéroport à Tbilisi mon contact sur place m’a annoncé que les routes avaient été fermées la veille à cause des chutes de neige, et qu’elles ne ré-ouvriraient pas avant le mois de mai… Je me suis ainsi retrouvée dans un hôtel de Tbilisi, avec mon sac à dos, mon matériel photo, et mon lot de déceptions.
Tant pis. Je me rends à la gare centrale et demande un aller « pour la montagne ». Quelques heures plus tard, je prend un thé avec mon voisin de compartiment dans un train de nuit qui nous emporte vers la Svanétie. C’est ainsi que je rencontre Vakhtang, qui sera mon guide, mon hôte et mon ami durant cette aventure, malgré notre différence d’âge, d’origines et de mode de vie. Avec le recul et en sachant qu’en Svanétie les mariages par enlèvement existent toujours et que tout le monde y possède une arme, je me dis que c’était peut-être un peu osé, mais j’ai dit oui.
La Svanétie est surprenante. Il y a encore quelques années elle n’était pas accessible faute de réseau routier praticable. Aujourd’hui, on peut facilement s’y rendre en vol charter depuis Tbilisi pour un prix très raisonnable. L’atterrissage se fait dans un bel aéroport au design moderne en pleine montagne.
Vakhtang m’introduit auprès de la communauté locale, me fait boire de la tchatcha du matin au soir (on boit beaucoup, ici : le troisième verre pour Saint George est sacré, sans compter tout le Panthéon pour lequel il faut trinquer !) et patiente pendant des heures alors que j’attends la lumière idéale. Ensemble, nous sillonnons la Svanétie à la recherche d’expériences inédites. On part à la rencontre de l’un des derniers chercheurs d’or traditionnel, on découvre les vestiges d’un ancien camps de l’ère soviétique, on discute avec les habitants du village d’Ushguli, situé à plus de 2000 m d’altitude…
Je demande à Vakhtang de m’emmener là où les voyageurs ne mettent pas les pieds, habituellement. Nous faisons donc le tour des villages voisins, accueillis dans chaque maison par ses amis ou sa famille. À chaque fois, un repas copieux et du vin maison nous sont servis, et on passe des journées entières à table. Les Svans sont très curieux de ma présence. Ils partagent volontiers les joies et les peines de leur quotidien.
Je loge chez Vakhtang, qui habite dans une ancienne ferme avec sa soeur Tsuri et son frère Dzuba. Tsuri nous prépare tous les matins du khachapuri, un pain géorgien garni de fromage, herbes fraiches ou viande selon la région. Tous les mets qu’elle sert sont issus de produits de la ferme. Il m’arrive de l’accompagner pour la cueillette de haricots rouges ou de légumes.
Aller chercher de l’eau de source fait partie de rituels quotidiens pour les Svanes. Les villageois se retrouvent autour des sources, ils parlent, partagent les dernières nouvelles, concluent des contrats… L’eau fraiche et pétillante jaillit directement de la terre, offrant aux hommes et aux animaux une source naturelle et inépuisable de minéraux et de sels.
En ouvrant les rideaux de ma chambre située au premier étage d’une grande ferme traditionnelle, je me trouve tous les matins face au mont Ouchba, fascinant et effrayant à la fois. Certains jours, l’aventure laisse place à la routine et les fraiches journées d’automne défilent, occupés à nous approvisionner en eau de source, à aller chercher le bétail au pâturage, à nous joindre aux locaux pour aller à la pêche ou aux champignons et à partager des repas, simples mais toujours succulents.
Ici, la religion est encore très présente. Les Svans font trois signes de la croix dès qu’ils aperçoivent une église. Ça peut vite faire beaucoup : dans le village de Latali, par exemple, on compte plus de 20 églises ! Lorsque les Russes sont arrivés dans la région, dans les années 1870, la plupart ont été détruites pour laisser place aux églises orthodoxes russes, censées représenter la civilisation. Les Svans cachaient leurs chapelles en les décorant de bois, pour les faire passer pour de simples maisons. D’ailleurs, dans la région, beaucoup de bâtiments ont été construits avec de l’oeuf, en guise de ciment !
On travaille toujours la terre avec des chevaux et des charrettes en bois, tout en accueillant les touristes dans des stations de ski de luxe. Certaines spécificités culturelles comme les mariages par enlèvement ou les règlements de compte à l’arme peuvent choquer le visiteur occidental, mais l’hospitalité et le sens de l’humour des Svans le lui feront vite oublier.
En Svanétie, on ne dit jamais « touriste » ou « voyageur ». La tradition veut que chaque passant soit considéré comme un invité d’honneur. Et c’est exactement ce que j’ai ressenti, dans ce tout petit pays d’une richesse et d’une générosité infinies.
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