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“Dans quoi est-ce qu’on s’embarque ?” Voilà ce qu’ont pensé Mathieu et Margaux en préparant leur nouveaux projet : 11 jours et 200 kilomètres de marche sur le GR®70, ou chemin de Stevenson. Le tout, avec un âne. Une ânesse nommée Lola, pour être précis.
C’est aussi le compagnon de route qu’avait choisi l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson, près d’un siècle et demi plus tôt, pour un périple raconté dans son célèbre livre, Voyage avec un âne dans les Cévennes.
Le trio est ainsi parti découvrir ce sentier mythique qui relie Le Monastier-sur-Gazeille à Saint-Jean-du-Gard, du sud du Massif Central aux Cévennes profondes. Une aventure qui leur fera traverser des territoires d’une diversité surprenante, mais aussi découvrir la cohabitation avec un animal au caractère bien affirmé, pour le meilleur et pour le pire…
10h00. Nous partons chez l’ânier pour rencontrer le compagnon de voyage qui complètera notre duo pour cette aventure dans les Cévènnes. Parmi une dizaine d’ânes, c’est Lola qui est l’heureuse élue. “Heureuse”, je ne sais pas. À moins que les vingt minutes que nous passons à essayer de l’attrapper ne soit une preuve d’excitation et de joie… Après ces débuts qui annonçent peut-être la couleur des prochains jours, nous recevons quelques conseils de sa maîtresse, emportons sa brosse, tout son attirail, et chargeons nos affaires dans les deux grosses sacoches montées sur son dos. Nous voilà partis pour onze jour de randonnée avec un âne dans les Cévennes.
Était-ce vraiment une bonne idée ? Dès le premier kilomètre, on se demande ce qu’on fait là. Lola, elle, doit se demander à qui elle a affaire cette fois. Elle nous teste, sans cesse. À chaque brin d’herbe ou branche qui dépasse, elle s’arrête. Mais nous suivons les conseils reçus quelques minutes avant : “ne vous laissez pas faire, soyez fermes dès le début, c’est vous les maîtres”. Message reçu. En avant !
Peu à peu, Lola semble se ranger de notre côté, mais nous restons prudents. Chaque virage est un nouveau défi. Nous traversons les premiers ponts la boule au ventre – les ânes détestent l’eau. S’en suivent les premières routes, les premiers villages. R.A.S. Tout se passe bien. Les chemins se font de plus en plus étroits, sinueux et abrupts, mais Lola nous surprend et se révèle être une vraie… « ânepiniste ».
La dernière des cinq heures de marche se fait sous des trombes d’eau. Nous sommes trempés de la tête aux pieds quand nous apercevons enfin notre auberge. Après avoir dételé Lola – enlevé ses sacoches, ses équipements et son harnais – nous courrons à l’intérieur pour place à la table d’hôte afin de terminer au chaud cette première journée de randonnée avec un âne dans les Cévennes.
Départ brumeux ce matin. Il faut attendre midi pour que le soleil perce, alors que nous prenons de la hauteur. Instantanément, les paysages se découvrent, se colorent, s’animent. Les nuances de verts sont bluffantes, du fluo des champs au sombre des forêts. Une longue descente entre les sapins nous mène au terminus du jour, Pradelles, qui se fond dans son environnement. Aucune faute de goût, ligne haute tension ou bâtiment tâche. Le village fait le paysage, le paysage fait le village.
Ce mode de voyage nous permet de dormir dans des auberges chaque soir. Celle de Pradelles, Terre d’accueil, porte bien son nom. Jean Raymond, son propriétaire, pétille de joie à l’idée d’accueillir chez lui de parfaits inconnus. Il nous chouchoute comme ses petits-enfants. Chaque hôte devient sa famille éphémère, et Lola n’est pas en reste, accueillie comme une reine.
Faute de place en auberge, nous avons bivouaqué sur les hauteurs du village, tandis que Lola a passé la nuit dans le champ clôturé du Refuge du Moure. Bien que nous soyons à un bon kilomètre d’elle, nous l’entendons braire dès 7h00 du matin. Lola déteste être seule et le fait savoir. Elle est réglée au soleil et sait, dès les premiers rayons, que nous allons venir avec un seau de graines.
La courte étape de ce quatrième jour nous invite à prendre notre temps. Après un café gentiment offert par le jeune patron de l’auberge, nous voilà en chemin direction le château de Luc, juste à côté de notre objectif du jour. Nous mangeons, nous flânons, nous lisons. Nous contemplons ces paysages qui ont inspiré Stevenson avant nous.
Le soir venu, nous sommes accueillis à l’auberge avec un sirop de châtaigne à l’eau. “La grenadine locale !” À 19h00, le sirop reste, mais le vin blanc sec a remplacé l’eau. Ici, on aime manger et boire, surtout les spécialités du terroir.
“Devinez ce que c’est !” Surprise : un chevreuil en sauce… Chassé par monsieur, cuisiné par madame. Ils nous le servent avec fierté. Loin d’être des adeptes de gibier, nous en mangeons par politesse et par curiosité.
La magie d’un lever de soleil dans la brume matinale… Aucun bruit, la sensation d’être seuls au monde, privilégiés. Pas si seuls que ça : une biche gambade en contrebas. En chemin, nous faisons la rencontre d’un autre apprenti Stevenson, Philippe et son âne Rigolo. Le hasard fait bien les choses, nos deux compagnons se connaissent, ils viennent du même élevage. Nous faisons un bout de route ensemble, échangeons sur ce qui nous a menés à nous lancer dans une randonnée avec un âne dans les Cévennes, la sensation de ces premiers jours, les galères rencontrées, les astuces trouvées, les prochaines étapes… Nos chemins se séparent, mais se recroiseront sûrement plus tard.
Aujourd’hui, deux cols nous attendent. Un défi que nous ne réaliserons qu’à deux : souffrant d’une tendinite au tendon d’Achille, Margaux ne peut pas marcher et nous rejoindra à l’arrivée. Je m’élance donc avec Lola, un peu frustré, mais vite récompensé par la vue sur la vallée, où s’étale une mer de nuages.
Je me mets à parler à Lola tout au long de la journée. Si ses mouvements d’oreilles étaient des réponses, nous avons eu de sacrées discussions. Les montées s’enchaînent, entrecoupées de cueillettes de myrtilles. Il y en a partout. Le carburant parfait.
Au sommet du Finiels – point culminant du mont Lozère avec ses 1 699 mètres – le temps s’arrête. Nous sommes rejoints par Constance et Véronique, deux randonneuses rencontrées la veille, qui m’invitent gentiment à déjeuner avec elles.
Au terme d’une descente aussi longue et fatigante que spectaculaire, nous retrouvons Margaux au Pont-de-Montvert. L’équipe est de nouveau au complet.
Aujourd’hui, une longue étape et pas mal de dénivelé nous attendent, mais Margaux souffre toujours autant du pied. Pas de rando pour elle mais la mission de se soigner et trouver des nouvelles chaussures de marche. Nous partons avec Lola. Dès le début, la vue sur le village annonce la couleur de la journée : ça va être beau. Impression confirmée juste après en traversant la Cham de l’Hermet. Sur le chemin, nous croisons un troupeau de chevaux en liberté.
Nous passons tranquillement quand, soudain, quatre d’entre eux se dirigent vers nous et tentent d’approcher Lola. Elle prend peur et se met à courir. Je la suis, longe en mains. Il ne faut surtout pas que je lâche ! Les chevaux sont à deux mètres derrière nous. Je crie pour les faire fuir, je prends un bâton pour leur faire peur. Trois s’arrêtent, un continue. Le plus virulent, bien sûr. Il s’approche, on fonce vers un sentier en pente, étroit et sinueux. Rien ne l’arrête. Le chemin est de moins en moins praticable en courant. Je ne sais plus quoi faire…
Une barrière et un portail mettront fin à cette course folle. Le cheval est bloqué. Et nous, libérés. Nous reprenons notre rythme de croisière jusqu’au col du jour, le Bougès. Sur ses crêtes, avec un point culminant à 1 421 mètres, un panorama splendide – et bien mérité – s’offre à nous. Un tas de pierre en guise de trépied, je tente d’immortaliser la scène, mais le vent souffle et Lola est bien décidée à avancer. Nous entamons donc la descente.
Le dernier kilomètre se fait le long du Tarn jusqu’au camping du soir où nous attend Margaux. Surprise : une plage privée. Surprise n°2 : l’eau ne dépasse pas les 14 degrés. Tant pis, après cette folle journée, je plonge. Nous dînons ensuite en compagnie de notre ami Philippe et de son âne Rigolo que nous retrouvons là – surprise n°3.
Aujourd’hui, Margaux reprend la rando ! Mais maintenant, c’est Lola qui a mal au pied. La veille, un de ses fers s’est détaché pendant la descente. Seule solution : lui retirer complètement. Nous devons faire appel à un maréchal-ferrant. Par chance, il y en a un dans le coin qui vole à notre secours.
La journée peut alors commencer. Finalement, ce retard nous permet de retrouver des amis randonneurs. Philippe et Rigolo, mais aussi un couple franco-québécois croisés plusieurs fois depuis le départ. On en profite pour manger ensemble et se dire au revoir, cette fois : nos itinéraires différent pour la fin du GR.
Nous terminons la journée par de la marche en forêt le long de la Minette, jusqu’à l’ancienne gare de Cassagnas. Nous y retrouvons d’autres connaissances qui accueillent Lola avec des cris de joies et nous avec une bière. Cerise sur le gâteau : alors que nous dormons dans notre tente, nous avons droit au brame du cerf…
8h30, nous voilà lancés dans la fraîcheur du matin, vite réchauffés par les premiers rayons de soleil et le dénivelé. Chaque pas nous rapproche de la fin, c’est l’avant-dernière étape avant l’arrivée. Nous parlons à Lola, la câlinons, lui ramassons des châtaignes dont elle raffole. Enfant gâtée ! Nous redoutons déjà de la laisser. Onze jours de randonnée, ça rapproche.
Rodé, notre trio avance à la folle allure de 4,5km/h. Rapide calcul : il ne nous reste que 1h45 à parcourir cet après-midi. Facile ! Sur le papier… À Saint-Germain-de-Calberte, nous prenons à gauche comme l’indiquent les traces du GR. Quelques éléments nous alertent : la végétation semble plus dense, il y a moins de traces, on ne croise personne… mais nous continuons.
Arrivés au prochain lieu-dit, nous le cherchons sur la carte. Introuvable. On se décide à tricher en sortant le téléphone : nous sommes partis à l’opposé de notre destination et du chemin de Stevenson. Les balises ? C’étaient celles du GR® 670, et non du GR® 70.
Il nous faut deux heures pour retrouver notre itinéraire… et entamer les 1h45 initialement prévues. La pauvre Lola suit tant bien que mal mais commence à fatiguer. Au total : huit heures de marche. Parents indignes ! Mais un arc-en-ciel, puis l’accueil, le dîner et les 1 000 histoires de la patronne du Mas Stevenson nous consolent. Qu’il est bon de croiser des gens aussi gentils et dévoués. Voilà ce que nous étions venus chercher dans cette randonnée avec un âne dans les Cévennes : l’aventure, la simplicité, des rencontres et des moments de partage.
Nous débutons cette journée à reculons. Aucune envie que l’aventure se termine et encore moins de laisser Lola. C’est fou comme on peut s’attacher aux « bêtes ». Un terme réducteur, d’ailleurs, quand on voit le comportement de notre ânesse tout au long du voyage. Plus câline, moins joyeuse, plus lente et capricieuse : elle semble savoir que la fin est proche.
Arrivés à Saint-Jean-du-Gard, l’ânier vient nous chercher. Quatre heures de route plus tard, nous voilà au point de départ, là où tout à commencé. Lola retrouve son troupeau qui fête son arrivée. Nous récupérons nos affaires et plions bagages. Un dernier signe, et ça y est. Notre randonnée avec un âne dans les Cévennes est terminée.
Le chemin de Stevenson peut se faire toute l’année mais beaucoup de logements ferment hors saison, et la météo est alors incertaine. L’idéal est de partir entre juin et septembre, mais les mois de mai et octobre peuvent aussi être une bonne option pour plus de tranquilité.
Vous pouvez attaquer le chemin en venant en train jusqu’à la gare du Puy-en-Velay, ou de Alès si vous le parcourez dans l’autre sens. Au terminus, un train vous ramène à votre point de départ ou vers la ville de votre choix.
Une fois sur place, nous vous conseillons de suivre le Topo Guide officiel. Ça tombe sous le sens, mais pour en avoir vu d’autres, c’est le meilleur que vous trouverez.
Telle est la question. Une randonnée avec un âne dans les Cévennes est une expérience à part, qui ravira les adeptes de Stevenson mais pas seulement. Cela étant, c’est aussi plus contraignant et coûteux.
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