Depuis plusieurs décennies, les montagnes sont prises d’assaut par les investisseurs immobiliers et les touristes en quête de glisse tout confort. L’impact écologique de l’industrie des sports d’hiver sur cet environnement fragile est ainsi devenu alarmant.
Heureusement, de petites stations résistent à toute expansion démesurée et gardent l’esprit familial des premières heures. C’est cette ambiance conviviale et authentique que Maxime a retrouvé à Silverton, au hasard d’un road-trip en solitaire dans l’Ouest américain.
Une tempête de neige, une route qui se perd dans la forêt, quelques bus, un unique télésiège et des « ski bums » sans autre prétention que celle de glisser librement.
Parti de Salt Lake City, sans planning ni itinéraire définis, je passe par Moab et le désert de l’Utah, une région que je commence à bien connaître pour y avoir vécu quelques années. La route me mène jusqu’a Durango, dans le Sud Ouest du Colorado. Je ne m’y attarde pas : c’est le grand air et la nature sauvage que je cherche.
Je remonte vers le Nord, par l’US 550, pour découvrir la San Juan National Forest. Ça doit être joli, c’est tout vert sur Google Maps. Très vite, je quitte les ranchs pour la haute montagne. Ça grimpe, la route devient étroite. Soudain, je me retrouve coincé dans une tempête de neige. Les flocons sont impressionnants et le blizzard de plus en plus épais. Je n’ai pas d’autres choix que de continuer de rouler.
Je suis seul, trop seul, depuis un bon moment maintenant. Le « no man’s land » américain peut être terrifiant. Après deux bonnes heures, je trouve enfin une station-service où m’arrêter. Je ne suis pas fier, mais soulagé. Il fait déjà presque nuit, je vais dormir là, dans ma voiture garée sur Main Street à Silverton, Co
La nuit est courte et glacée, malgré mes deux couvertures. Je file me réchauffer à la station-service. J’ai mes petites habitudes dans ces endroits : un mix café-cappuccino à la machine et du cheddar plastique. La journée peut commencer.
Assis dans ma voiture, je vois défiler des vans, des bus scolaires réaménagés et des voitures. Tous s’enfoncent dans la forêt, noire et dense, sur une route enneigée. Je décide de suivre le cortège. Pourquoi pas, après tout. Je n’ai nulle part d’autre où aller. Au bout du chemin, je découvre un vétuste télésiège et un hélicoptère. That’s it.
Tout autour, des carcasses de bus et de vieux baraquements, vestiges d’anciennes mines d’or, s’accrochent tant bien que mal aux flancs de la montagne. Le décor est surréaliste et grandiose à la fois, une ambiance comme seul l’Ouest américain peut offrir.
Voyager au hasard a ses vertus : la surprise permet souvent l’émerveillement. Je ne sais pas ce que je cherchais, mais je crois avoir trouvé.
Le parking est désormais plein. Certains « ski bums« , ces passionnés de glisse nomades qui vivent de petits boulots pour être sur les pistes le plus souvent possible, ont dormi sur place. Ils se réveillent tranquillement, portières ouvertes, pyjamas et après-ski aux pieds. L’excitation est palpable, il va faire beau, les conditions s’annoncent idéales.
L’ambiance est conviviale. Je déambule avec mon appareil photo, discute ici et là. On m’offre le café et me reprend gentiment — mais fermement — quand je me plains des précipitations de la veille. Pour eux, toute cette neige est un miracle inespéré et la garantie de quelques semaines de ski supplémentaires.
La dizaine d’employés de la station s’affairent. Les bus qui fonctionnent servent de navettes et balisent la piste qui descend vers Silverton, en contre-bas. Les bus immobilisés dans la neige servent quant à eux de dépôt de matériel. Étonnamment, tout est opérationnel. Cependant, le télésiège m’inquiète quand même un peu. On me dit qu’il marche seulement « quand il veut ».
Au loin, on entend les artificiers prévenir les risques d’avalanche à coups d’explosifs. Il n’y a pas de pistes, ici. La montagne est laissée quasiment intacte. La journée peut officiellement commencer.
Je m’éloigne un peu. En haut du chemin, j’entends des insultes. Les « F*ck ! » fusent. Je découvre un homme en train de réparer un bus usé, au milieu de nulle part. Je m’approche et commence à lui poser des questions, sûrement naïves. Peu importe, il faut bien établir le contact.
Ces rencontres sont éphémères, mais pas toujours superficielles. Waco travaille pour la station depuis vingt ans après avoir opéré pour la Sunnyside Gold Mine
Waco me dit aussi qu’il faut être un skieur confirmé pour venir ici. La station se mérite. Il évoque les rumeurs d’investissements qui ferait de cette minuscule station une formidable machine à sous. « Insanity ! » Couper la forêt présenterait de trop gros risque d’avalanche sur cette montagne. Ce doit être vrai. Les investisseurs seraient déjà là, sinon.
Seule ville du comté de San Juan, Silverton compte seulement 600 habitants à l’année et un seul officier de police. L’été, les touristes affluent, arrivant par le Durango & Silverton Narrow Gauge Railroad, une ligne de chemin de fer à vapeur, pour s’offrir un revival de la ruée vers l’or. L’hiver, c’est un refuge pour les petites bourses fuyant les villes et leurs loyers inabordables.
On trouve ici une tranquillité et une simplicité devenues rares. Partout ailleurs, l’argent confisque la montagne. Silverton fait figure d’exception face à la démesure des stations de ski voisines, comme Telluride et ces visiteurs privilégiés. Ici, on ne veut pas du changement. On espère même la réouverture de la mine.
La ville est simple. Quelques rues, une micro-brasserie, un dinner. Typique de l’Ouest américain mais si accueillante que j’y reste toute une semaine, confortablement installé dans ma Subaru Forester et l’un des deux bars. Waco m’a dit de ne pas prendre la route la route dans les prochains jours. Pourquoi repartir ?
Il faudra l’arrivée d’une pandémie mondiale pour me déloger. Je quitte les montagnes enneigées en direction du désert de l’Utah, ma seconde maison. À l’Ouest, toujours plus à l’Ouest…
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