Bien décidé à partir à l’aventure pour fêter ses 30 ans en plein cœur de l’hiver, Jean-Mathieu a mis cap au Nord, direction la Norvège. Si les îles Lofoten ou Trolltunga attirent déjà des milliers de visiteurs chaque année, le pays scandinave compte bien d’autres endroits où se perdre en quête de nature sauvage et de solitude.
C’est vers la méconnue île de Senja en Norvège, ses villages de pêcheurs et ses 8 000 habitants, que Jean-Mathieu s’est tourné. Il nous raconte un road-trip au-delà du cercle polaire arctique, où seuls le rouge des maisons et les aurores boréales viennent troubler l’immensité des grands espaces blancs.
Je suis né en plein hiver. Pour fêter ses 30 ans, on a connu meilleure saison. À moins que… Cela fait des années qu’on veut faire un road-trip avec Adrien, un de mes meilleurs amis. Et puis j’ai vraiment envie d’essayer mon nouvel appareil-photo… Serait-ce l’occasion ou jamais ?
Je sors une carte et mon regard se pose rapidement sur la Norvège. Hors de question d’aller se perdre au milieu des touristes dans les fjords. Je consulte les oracles de l’aventure autour de moi. Ils sont formels : « Go North ! » Vous la voyez cette ligne ? Le « cercle polaire arctique ». Ces trois mots suffisent à nous donner des frissons…
Et pourquoi ne pas aller au-delà ? J’aperçois le nom des Îles Lofoten sur la carte. Elles font parler d’elles depuis quelques temps. On pourrait y passer. Mais d’abord, je veux de l’authentique et du sauvage. Me sentir seul au bout du monde, m’imprégner de la vie locale. Allons plus au Nord, encore… Direction Tromsø, et on verra. D’habitude, j’aime tout prévoir. Mais si on n’improvise pas à 30 ans, alors quand ?
Nous passons notre première journée à Tromsø, histoire de nous acclimater à la température et à ce blanc omniprésent. Il nous faut aussi trouver les meilleures recommandations avant de prendre la route.
Nous rencontrons Pablo, un musher français dont on repère immédiatement l’accent. Après la Mongolie puis la Laponie, il a posé ses bagages ici pour s’occuper de huskys sibériens. Il nous donne d’excellentes suggestions pour débuter notre voyage. Le soir venu, la première bière du séjour nous permet d’en soutirer quelques autres auprès des barmans locaux. Un nom revient sans cesse : Senja Island. Étrange, cela ne me dit rien malgré mes repérages des semaines précédentes.
Google ne me donne guère plus d’informations sur cette île — presqu’île, pour être juste — et notre guide papier n’y dédie qu’un court paragraphe. Nous sommes sur une bonne piste. Nous en parlons à notre hôte qui se révèle avoir de la famille sur l’île de Senja en Norvège. “It’s very beautiful and not touristy.” Parfait !
Il est temps de rentrer dans le vif du sujet. Nous récupérons une voiture à l’aéroport de Tromsø. En Norvège, les routes sont si bien entretenues qu’il n’y a pas besoin de louer d’énorme 4×4, malgré les tempêtes de neige quasi quotidiennes. Toutes les voitures sont, de toute façon, équipées de pneus neige.
Dès les premiers kilomètres, le décor de notre aventure est posé. La route pour Senja est totalement recouverte d’une épaisse nappe blanche. Nous ne reverrons plus de trace de béton de tout le voyage. Ici, la neige est reine et la météo imprévisible. Une tempête peut laisser place au soleil en quelques minutes à peine.
À mesure que nous approchons de l’île, apparaissent çà et là ce qui sera le fil conducteur de ces prochains jours et de mes photos. Mais ça, je ne le sais pas encore…
Les journées sont courtes à cette latitude. Le soleil descend vers l’horizon dès 15h30. Heureusement, la neige réfléchit le moindre éclat de lumière. Arrivés au mobil-home que nous avons loué pour la nuit, l’obscurité n’est pas encore tombée et nous décidons de nous aventurer un peu plus loin. J’ai aperçu une route filant au Nord vers un minuscule village isolé : Husøy.
La route transperce sans scrupule les montagnes avec pour armes des tunnels parfaitement dessinés. D’ailleurs, voici le dernier. Il devrait déboucher sur notre objectif de la journée. La nuit approche et nous espérons que tous ces kilomètres supplémentaires en valaient la peine…
J’appuie sur le frein, m’arrête, sors mon appareil et saute en dehors de la voiture. J’oublie de mettre ma veste. Mais peu importe : le spectacle est grandiose. Alors que la “blue hour” nous envahit peu à peu, le village de Husøy apparaît. J’ai comme l’impression d’arriver dans un port de Vikings. Nous sommes sur leurs terres, après tout. On dévale la route jusqu’en bas, on passe la digue qui rejoint le village à la côte, comme si on montait sur un bateau près à quitter la terre.
Nous voilà encerclés de montagnes massives qui se jettent violemment dans l’eau sombre, avec pour seul bruit les vagues et les goélands (ou les gabians, comme on dit chez moi, en Provence). Pas une âme dans les ruelles. Les lumières du village, comme autant de petites bougies dans la nuit, réchauffent le paysage. Le voilà, le bout du monde.
J’ai dormi d’un sommeil lourd cette nuit. Je ne sais si c’est le froid ou la fatigue de la route. En mettant le nez dehors, nous retrouvons notre voiture couverte d’une trentaine de centimètres de neige. Seulement 100 kilomètres de route nous attendent aujourd’hui mais cela nous prendra la journée, la beauté du paysage nous invitant à multiplier les arrêts.
Mais avant tout, il nous faut un café que nous trouvons dans la petite ville de Mefjordvær. Nous faisons aussi le plein de délicieux cookies norvégiens découverts la veille dans les supérettes. Le village est bordé d’imposants bateaux et de filets d’élevage de saumon. Comme on peut s’y attendre, la pêche est la principale — voire même l’unique — industrie de Senja.
Prochains arrêts parmi les quelques endroits qui nous ont été recommandés et que je me suis appliqué à marquer d’une petite étoile sur la carte : Ersfjord Beach. L’endroit est surprenant avec sa plage de neige et, sorti de nulle part, un filet de beach-volley dansant sous les rafales d’un vent glacial. De violentes vagues viennent compléter ce terrain de jeu rêvé pour les surfeurs en eau froide, sous l’œil des cormorans qui s’accrochent tant bien que mal à leurs rochers.
Les nuages finissent par se dissiper. La neige s’arrête de tomber et un calme assourdissant s’installe. Les rayons de soleil laissent briller ces petites maisons rouges qui, décidément, nous accompagnent partout. Une cabane de pêcheur attire mon regard et mon objectif en particulier. Voici maintenant une grange, un cabanon, une maison. Petits points de couleur perdus dans l’immensité blanche. Nous apprendrons plus tard que la peinture rouge, mélange d’ocre et d’huile de foie de morue, était la moins chère à produire. La tradition est restée.
Nous approchons de notre destination pour la nuit. Alors que le soleil tombe et que les nuages blanchissent le ciel, nous décidons de faire un dernier détour pour suivre une route mystérieuse qui semble ne mener nulle part sur la carte. Effectivement, les seules traces de vie humaines sont une rangée de maisons abandonnées, condamnées, mais dont le rouge reste flamboyant, comme si le temps ne pouvait l’affecter.
Avant d’entrer dans le dernier tunnel qui nous mène à, Gryllefjord, village de pêcheurs où nous dormirons ce soir, nous apercevons un couple de rennes au loin. Le dernier rayon de soleil vient chatouiller le nez d’un visage dessiné dans la montagne tel un géant endormi.
À l’entrée du village, on repère des poissons — sûrement des cabillauds et des saumons — pendus à des clous sous le porche d’une maison. Alors que je prends des photos de cette scène atypique pour deux Français, les flocons se remettent à tomber. Je ne vois pas un gigantesque pêcheur approcher.
Devant notre curiosité, il nous explique en détails les étapes du processus de séchage et fumage des poissons qu’il pêche tous les jours avec son bateau amarré à quelques mètres de là. Nous demandons à notre nouvel ami s’il sait ou nous pourrions acheter du bon poisson pour le dîner. Il prend un sachet et commence à le remplir de cabillaud. Il y en a pour au moins trois repas ! “Not too much !” Nous lui demandons combien nous lui devons. “Nothing guys ! My pleasure.”
Le temps de déguster notre délicieux poisson, la neige s’arrête. Le ciel semble bien dégagé et notre application de prévisions d’aurores boréales (si, si, ça existe) nous dit qu’on a des chances d’en apercevoir aux alentours de 22h00. Nous sautons dans la voiture, direction la plaine sauvage où nous avions aperçu des rennes un peu plus tôt. Aucune habitation à l’horizon, donc pas de lumière artificielle. À peine arrivés, nous levons les yeux au ciel pour y découvrir une lueur dansante, irréelle.
Le réveil sonne et nous tire du sommeil, à peine remis du spectacle de la nuit dernière. Aujourd’hui, nous traverserons l’île de Senja par les terres. La route est assez longue pour rejoindre Narvik, ligne d’arrivée de notre voyage. Les éclats de couleur rouge ponctuent encore le paysage.
Alors que nous prenons le pont qui délimite le territoire de Senja et entamons les derniers kilomètres jusqu’à l’aéroport, la Norvège nous envoie ses bons baisers sous forme d’une tempête de neige impressionnante qui transforme une simple pause à la station essence en scène lunaire. Si les flocons tombant au ralenti ne nous ramenaient pas à la réalité, nous pourrions croire que le temps s’est arrêté.
Le blanc et le rouge nous auront accompagnés jusqu’au bout. Et comme un dernier clin d’œil, notre avion écarlate s’envole, deux heures plus tard, dans les nuages.
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