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Madère est une histoire d’entêtement. Celui du soleil, qui y fait briller un printemps quasi-permanent. Mais aussi celui des Hommes, qui ont fait de ce caillou perdu dans l’océan un véritable jardin flottant.
Bastien et ses amis sont partis se confronter au relief escarpé de cette montagne aux pieds mouillés. Il nous raconte quatre jours et 140 kilomètres de randonnée à Madère. Une traversée qu’il a réalisé d’un bout à l’autre de l’île portugaise, à la découverte de sa jungle tropicale, ses levadas et ses plus beaux panoramas. Une aventure pour se dépasser, mais aussi pour retrouver une certaine forme de sobriété, prendre de la hauteur, et respirer.
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17h30, veille du départ. Il est l’heure de vérifier les sacs. Répartition du poids, des vivres et de l’eau. La carte IGN et l’appareil photo rangés. Le maître-mot de cette randonnée à Madère, c’est la sobriété. On s’allège donc du superflu pour ne garder que l’essentiel.
Ah si, j’embarque tout de même un bouquin : « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce » de Corinne Morel Darleux. Un petit 86 pages de circonstances.
8h. Nous voilà à notre point de départ, Porto Moniz, un petit village sur la côte nord de l’île. Il fait beau, avec un brin d’air marin. Les réserves d’eau pleines et des sachets de nouilles chinoises à en faire craquer les coutures du sac, on s’attaque à la première étape qui nous emmène sur les hauteurs de Madère.
Cinq cents mètres après le départ, on entame déjà la première montée. Les mollets se crispent, le brin d’air à disparu… Le périple s’annonce sportif. On saisit tout de suite la dimension escarpée de Madère : une montagne dans la mer.
La végétation luxuriante dès la périphérie de Porto Moniz nous étonne. Fougères arborescentes, canne à sucre, bananiers, laine de jade ou silhouette en éventail du ravenala, l’arbre du voyageur… L’exotisme de l’île nous saute aux yeux. À chaque virage, de nouvelles plantes à découvrir se dévoilent et ne nous laisse pas le temps de nous ennuyer. Les kilomètres défilent.
On s’engouffre très vite dans les terres en prenant pour guide la Levada Do Norte. Une levada est un canal d’irrigation créé pour acheminer d’importantes quantités d’eau vers les zones cultivées. Elles nous permettent aussi d’avoir un accès à l’eau quasi permanent.
Ponctuée de tunnels creusés à même la falaise, la randonnée se transforme en spéléologie. Ces tunnels, au début très appréciables, se transformeront en obstacles de plus en plus étroits au fur et à mesure du parcours. Construits à travers les falaises, ils sont de vraies prouesses techniques qui nous permettent de traverser littéralement les reliefs de Madère.
15h, les choses sérieuses commencent, à l’assaut du plateau Do Fanal : 1 200+ de dénivelé en 5 kilomètres, c’est le tarif. Le sac pèse sur le dos, tire sur les épaules, les pas sont plus difficiles. Après tout c’est aussi notre but en venant ici, se mettre dans l’inconfort et rechercher l’effort physique pour éprouver plus intensément ce périple. C’est réussi.
Après une montée interminable, nous arrivons enfin au plateau Do Fanal. C’est l’un des derniers endroits où poussent encore la végétation d’altitude d’origine. Bruyères arborescentes et bois de lauriers millénaires rendent le paysage radicalement différent de ce matin.
Le soleil commence à faiblir, il est temps de trouver un endroit pour la nuit. On repère un petit coin avec de l’eau où l’on installe la tente. Problème, le réchaud ne fonctionne pas. Ce n’est pas ce soir que l’on pourra goûter à ces nouilles chinoises. On se contentera d’une barre de céréales en guise de repas. Trois têtes bêchent dans 1,50 mètre carré. Pas pire qu’un studio parisien ?
On pose le pied sur le plateau de Paul Da Serra après 1 300 mètre de dénivelé avalés dans la matinée. La physionomie du terrain a complètement basculé. Patrie du vent et des moutons noirs, ce plateau perché à 1 400 mètres d’altitude au coeur des massifs du centre-ouest est la seule surface plane de l’île. Cette vaste étendue déserte déploie sa lande de bruyère et de romarin sur une trentaine de kilomètres carrés.
L’alternance de paysages n’est pas pour nous déplaire. ll faut dire que Madère se prête particulièrement à la randonnée en itinérance. On y trouve très facilement de l’eau potable grâce aux levadas et les reliefs particulièrement escarpés offrent des paysages montagneux d’une grande beauté. La superficie très petite de l’île, permet de la traverser en quelques jours, de passer du niveau de la mer à plus de 1 800 mètres d’altitude en quelques kilomètres !
Arrivés à notre point culminant de la journée, après une pause bien méritée, nous plongeons à nouveau dans les profondeurs de l’île pour raccrocher le versant Nord. Au vue de ce que nous apercevons, la journée de demain s’annonce épique : une longue descente abrupte, ainsi qu’une ancienne levada abandonnée nous emmènera à notre point de chute de cette journée, le mythique col d’Encumeada. Nous y passerons la nuit. Réchaud réparé et double ration de nouilles chinoises au programme !
Ce troisième jour de randonnée à Madère est peut-être le plus beau. C’est ici que les sentiers pénètrent dans le massif montagneux central de l’île. C’est ici aussi que se situent les sommets les plus mythiques. Voilà la colonne vertébrale, escarpée, volcanique, le coeur puissant de l’île. Autour de la cordillère formée par les fameux Picos (les trois plus hauts sommets), se déploient de profondes vallées et de luxuriantes forêts.
Voilà la colonne vertébrale, escarpée, volcanique, le coeur puissant de l’île.
Nos corps semblent avoir pris le pli, et c’est plutôt frais que l’on attaque cette nouvelle journée. Un sentier chahuté long de 15 kilomètres nous conduira au Pico Ruivo, perché à 1 861 mètres. S’ensuit un enchaînement continu de montées et de descentes sur les corniches escarpées du massif. Le paysage est grandiose, très minéral, et les reliefs incisés, comme taillés à la main.
Le climat devient lui aussi très changeant. Il se dégage une atmosphère particulière, au fur et à mesure que l’on progresse en altitude. On s’engouffre dans une mer de nuages à peine transpercée par le soleil. L’ambiance est lunaire, la lumière stellaire. Sortis de ce bourbier de cumulus, la vue se dégage et on prend enfin la mesure de ces espaces. Le panorama depuis le sommet du Pico Ruivo embrasse l’île à 360°.
Autour de nous se dressent ses compagnons : Pico Das Torres, Pico do Gato et le Pico de Ariero. D’ici, l’île paraît bien petite. L’océan semble n’être qu’à une poignée de kilomètres au Nord comme au Sud et de l’Ouest comme à l’Est. Le paysage est tel que l’on décide d’y planter notre hôtel pour la nuit, tant pis pour le vent.
Les derniers randonneurs fuient le pic avant le coucher de soleil et le laissent pour nous seuls. On en profite pour une petite douche en altitude avec vue sur les flots. Je me souviendrai à jamais de ce coucher de soleil, point d’orgue de notre périple. Un moment particulier. Je me sens particule d’un vaste géant, beaucoup plus grand que moi. Accompagné de pâtes mal cuites au réchaud et d’un carré de chocolat ramolli par le soleil, ce moment est tout simplement parfait. Une phrase me reste en tête :
« Le monde ne mourra pas par manque de merveille, mais uniquement par manque d’émerveillement. » Vincent Munier
Les derniers rayons de lumière disparaissent et laissent place au crépuscule sur les crêtes. On profite encore d’une petite veillée à la frontale avant de rejoindre nos appartements. La brise descendante se met en place, c’est une nuit mouvementée qui nous attend. Le vent fait claquer la toile de tente dans un sifflement incessant. On s’y attendait, mais c’était le prix à payer pour apprécier cette soirée. Aucun regret.
8h. Après avoir profité de l’aurore, on se met en route pour cette dernière journée de randonnée au coeur des montagnes de Madère. On prévoit d’accélérer, car le programme s’annonce chargé : on reste perchés sur les crêtes, direction le second plus haut sommet de l’île, El Pico de Ariero.
Le paysage est encore somptueux. Les sentiers se font de plus en plus accidentés et périlleux. Le peu de dénivelé présenté aujourd’hui et largement compensé par le pourcentage de pente. Notre marche relève plus de l’escalade. Des escaliers taillés dans la pierre sont extrêmement raides. Les chemins, comme pressés, filent tout droit et n’épargnent aucun obstacle.
2h30 plus tard, on arrive au Pico Do Ariero. Plus encaissé que le Pico Ruivo, il offre un tout autre paysage, plus impressionnant encore, un festival de roches abruptes et ébréchées. La beauté de ce site et son accès possible en voiture, attire un afflux massif de touristes. C’est une rupture brutale avec ces trois premiers jours, comme un retour à tout ce que l’on souhaitait éviter. On se pose quelques instants pour casser la croûte avant de repartir au plus vite.
Il est enfin temps de redescendre. On quitte peu à peu le massif montagneux pour rejoindre les versants qui dominent Ribeiro Frio (le “Ruisseau Froid”). Cette région fait partie du Parc forestier Flora da Madeira. On retrouve la richesse végétale du départ, nappée dans la brume.
La descente est longue, jusqu’à la côte-Est. Elle pèse dans les jambes et les genoux. On est pressés par le temps et la nuit qui arrive. Comme pour boucler la boucle, on finira par retomber sur une levada, la Levada do Furado. Avec la vallée de Machico en toile de fond, ce canal nous conduit jusqu’a Porto Da Cruz, petit village d’agriculteur côtier et ultime point de chute de notre périple.
Si nous sommes heureux de retrouver le confort d’un Airbnb (surtout mes pieds, à vrai dire), le retour est brutal. Il se termine par un goût de « reviens-y », comme on dit. Cette aventure nous aura permis de faire une pause, déconnectés des préoccupations habituelles. Se contenter de peu reste un privilège quand il est choisi, une chance de se focaliser sur l’essentiel et de renouer avec la sobriété heureuse. Heureux de vivre simplement, sans entrave ni obligation, pour quelques jours…
Photos : Bastien Seon & Pierre Escand
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