D’un côté, un océan de maquis aux senteurs de myrte et crêtes hérissées de chaos rocheux. De l’autre, une mer azur et des plages de sable blanc. Et devant, un sentier bordant le littoral du désert des Agriates, région aride coincée entre le Cap Corse et la Balagne.
Ce désert, qui n’en est un que parce qu’il est très peu peuplé, s’étend de la plage de l’Ostriconi jusqu’au village de Saint-Florent. Soit 15 000 hectares d’une nature préservée où s’entrelacent sommets escarpés, maquis impénétrable et cours d’eau indomptés.
Fréquentée, l’Agriate n’en demeure pas moins un lieu authentique où se dévoilent, au détour d’une piste, les paillers ou “pagliaghji”, petits abris en pierres sèches symbole de la Corse des bergers que Sébastien Leroy est parti découvrir, pour trois jours de randonnée.
Je quitte tôt le parking du restaurant Les Jardins de l’Ostriconi pour ce premier jour de randonnée dans le désert des Agriates. Il fait encore nuit, la frontale est allumée. Direction la Punta Liatoghju (222 mètres) pour profiter du lever de soleil sur la plage de l’Ostriconi. Dans la montée, je sens déjà mon sac à dos peser sur mes épaules. Il est assez lourd, approximativement 13 kilos, car j’ai emporté une tente au cas où, un sac de couchage, de l’eau en quantité et de la nourriture.
Après une heure passée dans le vent du sommet, j’attaque la redescente. Le sentier de terre et de cailloux laisse place sur une courte portion à un chemin sableux. Ce type de terrain se présentera à quelques reprises lors de la randonnée, ce qui est à la fois agréable et fatiguant. Autour de moi, la flore est riche et luxuriante après les abondantes précipitations de l’automne et de l’hiver. On y retrouve de l’arbousier, du lentisque, du romarin, du ciste, ou encore du genévrier dont les baies dégagent ce parfum si spécial. Au-dessus de ma tête plane un milan royal, rapace emblématique de l’ouest de la Corse, et très commun en Balagne.
Une fois pleinement arrivé sur la côte, je rejoins le sentier du littoral, direction nord — nord-est. La plage de l’Ostriconi dans le dos, je me dirige vers la Cala di Vana. Bien que nous soyons en février, un grand soleil inonde le paysage et réchauffe l’atmosphère. Il fait 18°C au meilleur de la journée. Réaliser la virée hors-saison présente deux avantages majeurs. Le premier est l’affluence. Depuis le départ, je n’ai croisé que deux personnes. Le deuxième est la température. Le sentier ne présente que très peu de parties ombragées et le rivage insulaire surchauffe en été.
J’arrive à présent sur les hauteurs de la plage de l’Acciolu. Le décor rappelle instantanément la Polynésie française, un saucisson dans le sac en plus. Je l’attaque d’ailleurs une vingtaine de minutes plus tard, lors d’une pause dans le sable. Après un bon spuntinu, qu’on peut traduire par « casse-croûte », je reprends la route.
Je rallie rapidement la Punta di Solche et son point de vue saisissant, comme un tournant à mi-course. Du côté ouest, je contemple les paysages qui m’ont accompagné depuis le départ : les cimes enneigées du massif du Monte Cintu et la petite ville de l’Île-Rousse. Du côté est, celui vers lequel je me dirige, j’aperçois à présent le Cap Corse et son rivage accidenté. Quelques kilomètres dans les jambes plus tard je découvre la baie de Malfalcu, aux couleurs du petit matin. Le calme règne.
Ici, la végétation se fait un petit peu plus dense, je reconnais du pin maritime et de l’eucalyptus. Un énième cap passé m’offre une superbe vision sur la plage de Ghignu, l’une des perles de l’Agriate, qui sera mon point de chute pour la nuit. En effet, les paillers de Ghignu sont ouverts au public gratuitement durant l’hiver.
La nuit n’a pas été froide et j’ai plutôt bien dormi malgré la visite d’un animal, certainement un renard qui cherchait quelque chose à se mettre sous la dent. Sur la plage, alors que je grignote un morceau, je croise une marcheuse et son fils qui ont également dormi dans l’un des pagliaghji.
Je poursuis ma route lorsque je distingue une silhouette sur la plage de Trave. J’entame la conversation avec Anthony, canne à pêche à la main et bois flotté sur l’épaule, qui vit dans un pailler abandonné. Il m’invite à prendre un café et me raconte que cela fait trois mois qu’il vit ici, sans électricité ni eau courante. Ce quasi-trentenaire originaire de Lille vagabonde depuis douze ans et a découvert la Corse par hasard.
L’endroit est spartiate mais lui apporte suffisamment de confort, comme il me l’explique. Je réalise combien cette existence doit être délicate, bien que l’on puisse idéaliser une vie simple et paisible, déconnectée des affres de la civilisation… Une heure vient de s’écouler, quand je reprends la route, ravi de cette rencontre inattendue.
La boucle de la journée est bouclée lorsque je pose mes pieds sur la plage de Saleccia. Il ne servirait à rien d’utiliser d’innombrables adjectifs pour qualifier le lieu, il faut simplement le découvrir par soi-même. Ce soir-là, je passe la nuit au camping U Paradisu, complètement désert en cette saison, comme me l’explique Ricardo, le gardien italien qui, avec sa femme, garde le camping en basse saison. Nous sympathisons et échangeons autour de la photographie qu’il pratique aussi à ses heures perdues.
Une douche et un lit : un peu de confort bien apprécié après deux jours de randonnée dans le désert des Agriates. Je pars du camping vers 7h00 et, plutôt que de passer par la côte, je décide de prendre l’intérieur pour me rendre à la plage du Lotu. C’est le début d’une journée placée sous le signe de l’eau.
En effet, cette année l’automne et l’hiver ont été humides et le débit des cours d’eau est plus important qu’à l’accoutumée. Premier point de passage sur la piste, un ruisseau submerge la route habituelle. Une passerelle en tôle a bien été disposée mais elle ne m’inspire guère confiance. Je joue l’équilibriste, ça passe.
La journée est particulièrement venteuse, ce qui est fréquent à l’approche du Cap Corse. Arrivé au Lotu, je traverse la plage à pied et je prends un peu de hauteur sur un promontoire rocheux qui surplombe la plage. J’y fais quelques clichés. J’entrevois au loin la Punta Mortella. Quelques infrastructures dont un sémaphore, un phare, ou encore une tour génoise en ruine ponctuent le cap. En 1794, alors que les français tiennent la tour, l’Amiral Hood et deux navires de guerre Britanniques l’attaquèrent sans succès. Les Britanniques, impressionnés par l’architecture, vont la copier et bâtir de nombreuses “Martello Tower” en Grande-Bretagne, après avoir mal orthographié son nom original. Ils parviendront finalement à faire exploser la tour en 1796 alors qu’ils se retirent de Corse.
Cette parenthèse historique refermée, je m’engage sur la dernière ligne droite avec la traversée à gué du fleuve Fiume Santu, où il me faut retirer chaussures, chaussettes et pantalon. Puis vient le passage du phare de Fornali, pour ensuite longer le domaine d’Ochinese. Quelques centaines de mètres et voilà la plage de la Roya qui se dévoile. De l’autre côté du golfe de Saint-Florent, le clocher du bourg se dessine et sonne la fin de cette micro-aventure.
Une randonnée dans le désert des Agriates se fait toute l’année ! Partez suffisamment équipés : le temps peut changer rapidement de l’automne au printemps. En été, ne négligez par la protection solaire et des réserves en eau. Vous ne pourrez vous ravitailler en eau potable qu’à Saleccia. Marchez tôt le matin ou tard dans la journée pour profiter de températures clémentes.
La traversée vers la Corse s’effectue en bateau avec l’Île-Rousse comme port de destination, ou en avion en atterrissant à l’aéroport de Calvi ou de Bastia. Ensuite, mieux vaut louer un véhicule pour rejoindre le point de départ de la randonnée dans le désert des Agriates. En haute saison, une liaison en car est assurée entre Saint-Florent et l’île-Rousse avec un arrêt au camping de l’Ostriconi.
Le sentier est parfaitement balisé et entretenu par les gardes du littoral. Il se divise par endroit, mais il suffit alors de longer le rivage pour revenir sur l’axe principal.Vous trouverez facilement des topos détaillés. Sur cette carte du désert des Agriates sont indiqués les temps de marche, pauses comprises, d’un point à un autre. Vous retrouverez ces indications au fil du chemin.
Le désert des Agriates est un espace fragile et protégé. Le camping, le bivouac, les feux, les dépôts de déchets et la circulation des véhicules à moteur y sont interdits. Respectez la réglementation, les paysages, la flore, la faune et la tranquillité des lieux et ne laissez aucune trace de votre passage. Pour plus d’informations, lisez et signez notre Code de l’Aventure Responsable.
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