En 2016, Alexis et Simon sont partis à l’aventure à travers l’Ouest canadien et l’Alaska. Leur voyage les a menés sur l’île de Kodiak, où ils ont rencontré un couple de pêcheurs et guides de chasse vivant en autarcie au milieu des ours.
Un an après leur retour en France, ils ont reçu un message les invitant à rejoindre l’équipage familial pour la saison de pêche au saumon en Alaska. Après s’être bien renseignés sur l’espèce et l’état de ses réserves locales, ils sont partis découvrir ce métier exigeant, où il faut avant tout se montrer patient.
De ce périple, les deux amis réunis sous le nom de PIARAQ ont rapporté un livre et des enregistrements sonores à découvrir dans une composition inédite au fil de votre lecture.
Musique : Bademjan — Enregistrement : Piaraq
Le 5 juin, l’hydravion nous a posé à Larsen Bay, en Alaska, d’où nous avons rejoint, en bateau, le terrain de nos amis dans la baie voisine. Nous y découvrons notre navire pour la saison de pêche au saumon à venir : une grande barque aménagée d’une plateforme pour accueillir les 200 mètres de filet et une petite cabine pour le capitaine, tirée par un vif et puissant skiff. Elle nous paraissait bien frêle à côté des chalutiers équipés de bras hydrauliques que nous allions rencontrer, mais nous trépignions d’impatience de l’entendre grincer au creux des vagues.
Mais pour l’instant, il nous faut nous encore réviser nos nœuds et les manœuvres. Ça tombe bien, nous avons le temps : la saison de pêche au saumon en Alaska est dictée par des déclarations gouvernementales qui annoncent à la radio, au dernier moment, des ouvertures de quelques jours ou même quelques heures. Il faut être prêts, mais patients.
Nous attendons. Longtemps. Très longtemps. Les journées semblent interminables. Nous ne sommes pas seuls : en plus des ours Kodiak, des aigles et des otaries, des dizaines d’autres bateaux sont prêts à jeter leur filet à l’eau. Des rafiots, plutôt. Transmis de génération en génération, bricolés, cabossés, rafistolés, mais maintenus à flot grâce à l’orgueil de leurs capitaines.
Il est 13h09. Je suis assis avec l’équipage à la table en bois au centre de la cabine. Un lieu qui incarne l’Alaska, celle de Jack London, celle des chercheurs d’or, des trappeurs, des chiens de traineaux.
Deux fusils sont accrochés au-dessus de la porte d’entrée. Sur les murs pendent des peaux de loups, de renards, de lynx, et une défense de morse. D’un côté un poêle et une pile de bois bien ordonnée. De l’autre, une couchette recouverte d’une couverture à carreaux. Au-dessus, des photos de chalutiers et, à gauche, un mur entier recouvert par la peau d’un ours Kodiak.
Alexis
Après une heure sur la mer, le vent se lève et les vagues se creusent. Nous avons pu examiner la côte pour les prochains jours, mais les conditions météo ne nous permettent toujours pas de mettre le filet à l’eau.
Notre seule récompense : cette matinée nous a offert un vrai défilé de vie sauvage. Nous voyons des baleines au loin et des otaries attroupées sur les plages, tandis que des loutres nous regardent filer sur l’eau avec leur flegme naturel. Nous croisons même deux jeunes biches qui nageaient devant notre bateau, prises au piège par la marée haute sur une petite île à quelques dizaines de mètres de la côte.
Sur le chemin du retour, la météo empire encore et certaines vagues manquent de passer par-dessus bord.
Simon
21h30. Dix-sept heures que je suis debout. Le soleil m’a arrosé de ses rayons toute la journée et il est encore haut dans le ciel. Mon corps s’habitue à ce rythme mais la fatigue persiste aujourd’hui et raisonne dans mes membres.
A 4h00, tout emmitouflés dans nos cirés, nous commençons à démonter le campement, rangeons le matériel et les vivres dans le bateau. Vers 5h00, nous prenons la mer. Les vagues nous éclaboussent. Bonnets et capuches baissés, nous avançons en silence au milieu d’un paysage brumeux, à l’image de nos esprits.
Avec Simon, nous tentons de préparer un petit-déjeuner mais peinons à garder l’eau douce dans la théière. Avec le mauvais temps et la houle, les tâches les plus simples deviennent compliquées.
Alexis
Une nuit au cœur de la tempête. Sortir de la tente fait froid dans le dos ce matin. Je reste au chaud dans mon duvet pendant qu’Alexis termine sa nuit.
Nous descendons déjeuner sur le dock. Je m’attends à trouver une bonne ambiance après la naissance de la chèvre, hier soir. Un peu de réconfort autour du poêle serait le bienvenu ! Mais nous déjeunons des céréales en silence au milieu de la vaisselle sale de la veille. Le capitaine est absorbé par une émission sur les aliens.
Nous sortons faire cette vaisselle qui s’accumule depuis une semaine. Le vent et de larges nuages sombres se lèvent. Je pompe le bateau en vitesse avant que la pluie ne s’intensifie. Nous nous abritons du mauvais temps à notre campement.
Il est à peine 13h00. Je suis attablé, à l’abri de la pluie sous la bâche et les planches de bois de la petite cabane, mon pull et mon manteau fermés jusqu’au col. Plus que quelques jours avant de partir pêcher, enfin.
Simon
Darren est inquiet pour les bateaux : le vent souffle trop fort. Nous dévalons la colline jusqu’au ponton. La lumière du crépuscule rase les montagnes. Au fond, les pics enneigés. Devant eux, les sommets verts se perdent dans la brume. En bas, je vois les côtes noires et escarpées de Kodiak. Quelques rayons percent les nuages.
Nous scions l’eau sombre à plus de 60 km/h. La vitesse soulève la proue et me donne la sensation de voler. Nous amenons les bateaux en lieu sûr et ancrons le Whaler sur la running line, de l’autre côté de la propriété. Je tire la dernière longue corde salée, parsemée de coquillages et d’algues.
Une fois sur la plage de sable noire, nous sautons à l’arrière du buggy et traversons la forêt au rythme endiablé de la conduite du capitaine, aveuglé par le vent.
Alexis
Au fond de la baie, les ours chassent dans la rivière sans se soucier de l’agitation des pêcheurs. Vingt chalutiers fulminent sur l’eau en attendant l’ouverture officielle de la pêche au saumon en Alaska, à midi. Chacun observe l’autre. Les bateaux se tournent autour en suivant le déplacement des bancs de saumons.
Faux départ à 10h00 lancé par Chad, hilare. À midi pile, c’est la cohue. Chad nous rentre dedans par le flanc avec le Bandit, son bateau en métal. Nous sommes bloqués entre des rochers et des chalutiers. La plage se rapproche dangereusement et menace d’immobiliser notre embarcation dans le sable. Tout le monde se jette sur les bancs de poissons.
En fin de journée, nous allons déposer la pêche du jour au tender. C’est notre première dépose. Combat d’égos oblige, le capitaine de notre petit bateau tente de sauver les apparences en jurant et en hurlant des ordres dans tous les sens. Le tender n’a pas l’air d’y porter grande attention et emporte nos 747 livres de poissons.
Nous retournons poser un dernier set que nous laisserons en place toute la nuit. Le soleil se couche. Journée éreintante mais mémorable. La tension qui monte à l’approche de l’opening, les regards des pêcheurs, l’agitation des équipages, les cigarettes qui s’allument, les bateaux qui s’affrontent, le rire gras de Chad et ses insultes qui résonnent dans la baie…
Je suis épuisé. Mes vêtements sont humides. Il est 23h30, nous nous réveillons dans 4 heures pour sortir le filet de l’eau. Avec Alexis, nous cuisinons du saumon et du riz à la lumière des frontales.
Nous apportons une assiette au capitaine. Il dort sur le bateau pour surveiller le filet pendant la nuit. La pluie commence à tomber.
Simon
Le matin, les corps des matelots sont las mais le réveil est rapide. L’air marin agit comme un coup de fouet. La marée arrive et notre piège doit être posé. Nous enfilons nos salopettes, plions le réchaud et mettons les vivres à l’abri des ours et de la pluie. Nos gestes s’accélèrent dans une cérémonie silencieuse.
Nous embarquons. Le capitaine, prêt à en découdre, observe la crique où le Bandit semble encore assoupi. Les cordes humides viennent glisser dans nos mains. Mon regard s’égare sur les eaux sombres pour tenter, en vain, de savoir de quoi la journée sera faite.
La pêche est fructueuse : nous tirons plus de 1 300 livres dans la journée. Nous sortons de notre filet un Roi Saumon. C’est le plus rare, le plus gros et le plus tendre de tous. Ces poissons finissent rarement dans la cale des tenders car les pêcheurs les gardent comme des trésors. Ce soir, nous dégusterons des sashimis et quelques filets de ce mets réservé aux initiés.
En fin de journée, le soleil se diffuse dans la brume. Adossé à tribord, j’observe la chorégraphie de l’équipage qui récolte le fruit de notre dernier set, baigné dans cette lumière mystique.
Le Cora Maria fait la fête, le Bandit se cache dans l’embouchure de la baie, le capitaine flotte sur sa barque, nous sommes allongés dans la tente.
Alexis
Plus de 5 heures d’attente sur le bateau sous la pluie. Sur la plage, les ours pêchent de leur côté. Je remonte à pied la rivière qui serpente entre les rochers pour observer les saumons, quand mon regard tombe dans celui d’un ours, quinze mètres en amont. Je suis pétrifié. Il ne bouge pas. Je lève les bras et pousse un gros cri tout en reculant à grands pas…
Simon
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