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Quand on vit en ville, il peut sembler difficile de profiter de la nature dès que le besoin s’en fait sentir. Pourtant, l’aventure est à portée de main, même à Paris !
Cette idée qu’on ne cesse de répéter, Matthieu Tober en a fait sa philosophie : dès qu’il le peut, il quitte la capitale pour respirer, que ce soit sur les spots de surf bretons ou dans les forêts glacées du Jura.
Son moyen de locomotion préféré ? Le vélo. Mais pas de record de distance ou de vitesse ici. Matthieu préfère prendre son temps, profiter, privilégier l’instant à la performance.
Ainsi, quand un beau jour il a eu envie d’aller voir la mer, c’est en deux jours qu’il a choisi de rallier Paris à Dieppe, en passant par l’Avenue Verte. 234 kilomètres de route, certes, mais surtout beaucoup de plaisir, et quelques bières bien méritées.
La chaleur frappe la vitre sans laisser la moindre chance de vous en sortir. Paris est une ville magnifique au mois d’août, quand les rues sont vides, comme les magasins et les coins sympas, mais c’est aussi un vrai cauchemar quand la chaleur s’y installe et que toute notion de « vent » et de « fraîcheur » n’existent absolument plus.
En bon Breton installé dans la capitale, il m’est difficile d’oublier le bonheur de la côte, avec les embruns et les bourrasques pour ventilo. Mais ici, c’est Paris, où l’on se soulage à coup d’air conditionné, quitte à choper un rhume en plein été. Alors voilà, c’est officiel : j’ai envie de voir la mer.
La solution la plus évidente serait de me booker un aller-retour en train à la maison et de revenir tranquillement au boulot, ni vu, ni connu… Mais j’ai choisi l’option B, celle qui vous frappe dans le dos pour vous mettre à l’épreuve et qui débute par une question simple et pleine de spontanéité : “Et si j’y allais à vélo ?”
J’ouvre Google Maps au bureau pour étudier les différentes possibilités. Deauville ne semble pas bien loin, vu d’ici. Les récits de voyage à vélo aussi divers (amateurs et fous de perf’) que nombreux. L’exercice est donc faisable, même pour un débutant comme moi. J’en suis là quand mon collègue, Yann, passe derrière mon écran. Mon projet lui plaît et l’odeur de la mer lui donne déjà des fourmis dans les jambes. Parfait, mon coéquipier est tout trouvé.
Yann me parle de Dieppe. Pour lui, c’est une bonne alternative grâce à “L’Avenue Verte », une vélo-route qui relie Paris à Londres en passant par Dieppe. Elle mixe une piste dédiée aux vélos à de petites routes dans les villages. On a la destination, nos montures sont plus ou moins prêtes… il ne reste plus qu’à se lancer dans l’aventure.
Loin de moi l’idée de parcourir les 234 kilomètres séparant Paris à Dieppe à vélo en une seule journée, je ne suis ni de cette trempe, ni de cet esprit. Ce qui m’attire se rapproche plutôt du Slow Bike, une pratique très en vogue en ce moment, qui place l’expérience au premier plan, bien avant la performance. Nous, on est plutôt du genre à ne faire que 100 kilomètres par jour, à nous arrêter pour prendre des photos ou pour nous accouder au petit restau d’un village perdu.
Explorer, passer du temps sur la route et profiter de chaque coup de pédale…
C’est parti. Me voilà déjà à la sortie de Paris. Je longe les chemins de halage pour flirter avec la Seine où les péniches ont pris leurs quartiers. C’est une autre vie, un autre monde que celui des avenues parisiennes. Pour l’instant, je suis seul et plein de doutes, tant dans la tête que les mollets. Vais-je tenir la distance ? Mon coéquipier ne va t-il pas devenir fou avec mon allure ? Est-ce bien raisonnable, tout ça ? Mais la réponse à toutes ces questions se trouve dans l’aventure en elle-même. Après tout, si je suis sur ce vélo c’est pour me mettre dans une situation d’inconfort, me tester, vivre quelque chose de différent…
Assis sur un banc dans le secteur de Saint-Germain-en-Laye, Yann m’attend de pieds fermes, trépignant d’impatience. On sait que cette première journée est importante car outre l’aspect sportif et physique, c’est aussi le baptême du feu de notre bonne entente, kilomètre après kilomètre. Nous ne sommes jamais partis ensemble et nous nous connaissons depuis peu. Il faut se découvrir, savoir anticiper la fatigue de l’un ou s’accrocher à la forme de l’autre (je vous laisse deviner qui est de quel côté !)
Après quelques heures à pédaler et discuter, je suis déjà convaincu que ce Paris-Dieppe en vélo va très bien se passer. On partage notre vision de l’aventure, notre envie de rencontrer les gens, découvrir et partager, que ce soit nos grandes escapades à travers le monde ou nos petites sorties pour aller voir la mer, comme celle-ci.
Ce début de biketrip est intéressant mais pas emballant question dépaysement, tant qu’on reste en Île-de-France. Bonne nouvelle : la Normandie n’est plus bien loin. On décide alors de s’arrêter à mi-parcours dans le petit village de Gisors. Nous sommes le 10 août et tout est fermé, sauf le bar du coin. Alors on se pose et on refait le monde. Il est 14h00, on a 106 kilomètres, dans les jambes pour 5h30 sur le vélo. C’est mérité !
Cafés, tartines et jus frais. On refait les sacs, on check nos montures : tout est ok. Le packtage n’est pas moins lourd que la veille mais on s’habitue plutôt bien à tout ce barda. Il faut dire que j’ai passé des heures et des heures sur les sites de bikepacking avant de partir, afin d’être bien équipé pour ce premier — et probablement pas le dernier — biketrip.
Le départ de Gisors est un régal. La Normandie nous tend les bras et notre journée se profile comme un enchaînement de routes de campagne, de petits villages improbables et de passages sur des anciennes voies de chemin de fer… Au programme : une centaine de kilomètre jusqu’à la plage. Mais, étrangement, le temps passe beaucoup plus vite que la veille. Il faut dire que je prends un plaisir fou à traverser chaque hameau, à comparer la taille et la beauté des églises, en imaginant la vie quotidienne des habitants. Ici, l’histoire n’est pas que dans les livres et les souvenirs des anciens. On découvre de superbes monuments qui nous rappellent le riche et mouvementé passé de la région.
Le vélo a ceci de délicieux qu’il permet de profiter du paysage dans ses moindres détails.
C’est une des grandes leçons que j’ai tirées de cette micro-aventure. À vélo, tout peut être observé, décortiqué, apprécié. On prend le temps de regarder, de faire demi-tour ou bien de s’égarer dans un chemin pour le simple plaisir d’y être allé. Le vélo n’est pas seulement l’instrument du sportif, c’est l’outil pour le voyageur que je veux être. À travers l’effort, une distance devient un objectif, un arbre à 1 kilomètre en haut d’une montée devient une étape à franchir. Bref, le vélo offre à cette aventure un goût nouveau, que je me surprends à beaucoup apprécier.
Nous voici à Forges-les-Eaux. C’est ici que débute “L’Avenue Verte” pour nous, cette immense piste cyclable qui va nous amener jusqu’à la mer. Les premiers kilomètres sont déroutants : nous ne traversons plus de villages et sommes complètement isolés des véhicules. « Une ancienne voie ferrée transformée en route cyclable. » Sur le papier, on n’est pas loin du bonheur, mais je dois bien avouer qu’après deux heures à rouler dessus, la monotonie et l’ennuie pointent le bout de leurs nez.
On a presque l’impression d’avancer sur un tapis roulant tant les paysages ne changent pas. Une immense ligne droite qu’on ne fait que suivre. On prie pour un petit virage, une imprécision dans le tracé, histoire d’avoir l’impression qu’il va se passer quelque chose… Mais non, il faut pédaler, regarder devant et ne surtout pas baisser la tête sur le compteur : les kilomètres défilent très, très, lentement.
Mais soudain, le but initial de ce biketrip nous revient en pleine face — ou en pleines narines : “Tu sens cette odeur ? On approche de la mer !” En effet, ça commence à sentir bon. Vraiment très bon. Ce défi « Paris-Dieppe à vélo » que je me suis lancé va bien devenir une performance personnelle, à raconter à l’apéro ou durant les repas de familles avec fierté, mais suffisamment facile pour que me motiver à viser un cran au-dessus à l’avenir.
C’est d’ailleurs le sujet qui vient très vite sur le tapis avec Yann. Notre entente étant des plus parfaites, on se lance des idées de prochaines micro-aventures à vélo sans même avoir terminé celle-ci. On arrive tranquillement à l’entrée de Dieppe. La fin approche !
J’ai mal aux jambes mais pas envie d’en finir. Je ferais bien quelques tours de villages de plus, pour prolonger le plaisir… On s’offre une collation d’anti-sportif à base de frites et on se pose sur la plage de Dieppe. Mais bon. Il faut avouer qu’elle n’a rien d’une plage paradisiaque. Ici, c’est parking et galets. « On a pédalé 234 kilomètres pour ne pas pouvoir mettre les pieds dans les sables ? » C’est pas bien grave, on l’aura fait ce Paris-Dieppe à vélo !
Après tout, on voulait voir la mer, et là voilà.
On se dirige doucement vers la gare où un TGV nous ramènera sur Paris, des souvenirs pleins les mollets. Ce que Yann s’est tatoué est donc vrai : « Des kilomètres en plus, des problèmes en moins. »
Photos : Matthieu Tober & Yann Moszyński
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