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Lundi matin. Métro, boulot ? Rien de tout ça pour les amateurs de freeride, dont l’emploi du temps s’écrit plutôt au rythme des conditions météos. Quand le jour est arrivé pour concrétiser un nouveau projet, il faut se tenir prêts.
C’est ce que nous racontaient Sam Favret et Julien Herry dans notre onzième volume papier. Tracer la « ligne parfaite » dans des pentes bien raides, voilà ce qui les pousse à se lever aux aurores. Baptiste Diet et son pote Maël Murray sont aussi de ceux-là. En ce lundi de printemps, les étoiles étaient alignées pour ouvrir ce couloir qui leur faisait de l’oeil depuis un moment, sur le Rocher de l’Armet. Ils n’ont pas hésité. Appareil photo armé, board aux pieds, et mousse à l’arrivée.
« Lundi, on shoote le couloir. »
Le SMS de Maël reçu samedi dernier est plutôt clair. Depuis le temps qu’on en parle, ça va devenir concret. Je l’appelle quand même dimanche après-midi pour en discuter. Avec ce gars-là on n’est jamais vraiment sûr de l’endroit où il se trouvera 48 heures plus tard… Même lui, ne le sait pas.
On fait un point météo et accès. Il va faire beau, avec un léger vent et des conditions de neige plutôt bonnes. Maël est chaud comme la braise. Sa board est affutée et la perspective de rentrer un couloir qui n’a encore jamais été fait dans la région de l’Oisans le gonfle à bloc !
Il est 4h45 quand mon réveil sonne. Ça pique. J’avale un café, attrape une banane et vérifie mon sac une dernière fois pour être sûr de ne rien oublier. Tout est là : boitier, trépieds, objectifs, jumelles, talkies… Let’s go ! Je saute dans la voiture, passe récupérer l’homme de la situation, et nous voilà partis pour rejoindre le départ du sentier.
« C’est là, le panneau ! »
On se gare. Frein à main, frontales, laçages de boots, planche sur le sac, sac sur le dos, et GO ! On suit le chemin qui va nous mener au col, puis sur le promontoire, puis en bas du couloir pour Maël. Il fait encore noir et la lune descendante à travers les arbres crée une ambiance assez sympa.
Les premières lueurs du jour apparaissent au fur et à mesure que nous avançons. Les Grandes Rousses au loin et les sommets environnants prennent peu à peu une teinte rouge. Mais ça se complique : la neige devient de plus en plus présente, et à 6 heures du matin, c’est du béton. Il faut faire gaffe à ne pas glisser, planter les chaussures et être solides sur les appuis.
Après quelques galères dans les rochers, on arrive enfin au départ de la traversée qui permet de relier le col. Par chance, l’exposition sud de celle-ci fait que le chemin n’est plus enneigé. En revanche, il est assez escarpé. Vide à gauche, main courante à droite, et on avance.
Le Rocher de l’Armet fait alors son apparition. Massif. Et avec lui, l’objectif de la journée : une belle ligne blanche de 300 mètres sur la partie gauche du sommet, dans les falaises. Le contraste entre la verdure environnante et la montagne enneigée est saisissant.
Au col, la neige est de retour sous nos pieds. Pour de bon, cette fois. On attaque la dernière montée. Le soleil est là et chauffe déjà. Sur certains de mes pas, je m’enfonce jusqu’aux cuisses. Il aurait peut-être été intelligent de prendre une paire de raquettes… « Too late ! »
Bingo ! Nous voilà en haut, et je dois dire que rien que pour ça, je ne regrette pas de m’être levé aussi tôt. La vue est incroyable entre le Grand Armet et la vallée de la Malsanne. Un petit break avant de tout déballer. On boit et on mange un bout tout en mettant quelques coups de jumelles dans le couloir. La petite brise matinale nous invite à remettre les doudounes, mais à part ça, « as expected ! »
Je déplie mon trépied pendant que Maël compte ses Balistos. Le mec a l’air serein. Je crois qu’à sa place, je ne serai pas aussi tranquille. « Je vais te laisser mes bâtons, ma casquette et ma pomme. » J’acquiesce et lui tend le deuxième talkie. « Test, un deux, un deux. » Ça marche. Je monte le téléobjectif sur le pied, il enfile son casque. Tous les voyants sont au vert. On fait vite fait un petit brief, et le voilà parti.
Quelques bruits d’éboulements de pierres et une trentaine de minutes plus tard, la voix de Maël résonne dans le talkie : il est en bas du couloir et commence la montée. Je me relève de ma sieste et colle un œil dans le viseur de l’appareil photo. Effectivement, j’aperçois une silhouette s’activer au milieu de la ligne, piolet en main et crampons aux pieds. Il enchaîne les gestes méthodiques pour gravir la pente qui, vue d’ici, parait plutôt raide.
L’ascension se passe bien, à part un ou deux passages étroits avec de la glace. Le voilà déjà sur la deuxième moitié du couloir. Même avec le dénivelé de la matinée dans les jambes, il n’a pas « un pet de jeu » comme on dit. Un vrai chamois. Mais un petit « Là c’est dur ! » glissé dans la radio me prouve qu’il trime un peu, quand même.
Il y est. Je zoome à 600mm pour la photo souvenir : la silhouette de mon pote dans le cadre, les bras écartés en signe de victoire. D’ici, il est minuscule. On le distingue à peine à l’œil nu. Je le félicite pendant qu’il va se mettre à l’abri en pied de paroi pour manger un morceau et se préparer à ce pourquoi il est venu jusque là.
« Drop-in ! »
Planche aux pieds, piolet toujours au poignet, les premiers virages s’enchainent avant de s’arrêter sur un dérapage en douceur pour rentrer dans la partie étroite du couloir. D’ici, il a l’air de gérer, sans accroc, avec tout la dextérité et la maîtrise qu’on lui connait.
Je mitraille : plan large, plan serré. Je ne veux pas en louper une miette. En un rien de temps, il est déjà sur le bas. Il s’arrête pour regarder derrière lui… Mission accomplie ! Par contact radio, on se met d’accord. Il va redescendre par la combe en snowboard. C’est trop compliqué pour lui de revenir jusqu’à moi, puis il y a encore de quoi faire des turns sympas dans cette neige de printemps.
Je remballe le paquetage, et je prends le chemin du retour. Le col, la traversée, la combe d’avalanche, le chemin et enfin la voiture. Sans perdre de temps, je pose le sac dans le coffre et je pars en direction de la combe où se trouve Maël. Il m’attend en haut du dernier névé pour quelques dernières photos. Garé au virage le plus proche, je ressors le matos pour shooter les derniers turns.
Cette aventure matinale se finit sur de jolis virages sans pression. Cerise sur le gateau, Maël déloge même un beau bouc qui passe 50 mètre devant lui, en contrebas. Aux portes du parc national des Ecrins, l’image est belle.
De retour dans la voiture pour aller le récupérer, j’essaye d’aller au plus près de son point de chute. Le voilà qui arrive, sourire aux lèvres et attitude du mec qui vient de faire sa balade dominicale. « Allez, on va boire la mousse ? » Sur ces belles paroles, on redescend dans la vallée, contents d’avoir pu cocher ce joli petit projet.
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