Il y a ces curieuses questions, qu’on aime se poser entre amis pour savoir qui ferait quoi s’il se retrouvait échoué au beau milieu d’une île déserte. Tout en s’imaginant un tas de scénarios, on se remémore conjointement Robinson Crusoé, Vendredi ou la vie sauvage ou Seul au monde avant d’enchaîner par une réponse rocambolesque. En réalité, il est assez délicat de répondre sérieusement à ce genre de question sans évoquer la folie et le désespoir. Surtout si l’île déserte est un canot gonflable et que la terre ferme se trouve au-delà de l’horizon… Je vous pose alors une nouvelle fois la question de la manière suivante : Comment arriveriez-vous à survivre en pleine mer, seul à bord d’un Zodiac, sans réserves d’eau ni nourritures ? L’explorateur français Alain Bombard n’a pas eu besoin de puiser dans son imaginaire pour y répondre, il en a fait son expédition en 1952.
Pendant près de deux mois, Alain Bombard a traversé l’océan Atlantique en solitaire à bord d’une embarcation pneumatique pas plus grande qu’un radeau de fortune. Au cours de son périple, il va démontrer qu’il est possible de survivre en pleine mer si l’on ne sombre pas dans le désespoir, première cause de mortalité chez les naufragés avant la faim et la soif. À 28 ans, Bombard est décidé à sauver des vies et ça sera au péril de la sienne qu’il en fera l’expérience.
En lisant Naufragé Volontaire, on se plonge en plein cœur de ses écueils et observations qu’il note tout au long du voyage sur son carnet de bord. Puis rapidement, on attrape le mal de mer. On digère chacune de ses craintes comme si nous ingérions au même instant le poisson cru qu’il pêche depuis son bateau. Ses calculs scientifiques donnent parfois la nausée pour peu qu’on soit un non-initié du milieu maritime, mais cultivent aussi ce sentiment d’immersion d’une aventure rythmée par la recherche et l’expérimentation.
Car Alain Bombard est un chercheur, biologiste, écologiste, explorateur et un aventurier. Il bousculera les codes et déclenchera des levées de boucliers chez certains auteurs se contentant d’écrire sur la mer seulement depuis la terre ferme. Pour survivre, Bombard se nourrit exclusivement de plancton et de tout ce qui porte des nageoires. Pour l’eau douce, il extrait le jus des poissons et croise les doigts jusqu’à la prochaine pluie. Mais c’est en buvant de petites quantités d’eau salée qu’il arrivera à retarder la déshydratation des jours durant. Méthode longtemps contestée dans le monde de la navigation.
À bord, il se repère grâce à des ouvrages d’océanographie et d’astronomie. La dérive se fait timidement à l’aide de sa petite voile quand la météo le permet, mais la tempête n’est jamais loin tout comme les requins et les espadons souvent trop curieux. Si le courage, la bravoure et la foi transpirent entre les lignes, l’interminable attente et la peur le pousseront à rédiger son testament à bord de L’Hérétique, son canot gonflable. Une question de survie ou de mort.
Sur L’Hérétique, Bombard apprend, se trompe, réussit et réalise sa propre thérapie par la mer en devenant un « homme d’eau salée ». Son retour à la terre ferme sera marqué d’un soulagement après de longues journées à expérimenter la survie. Une expédition qui permettra à de nombreux naufragés de s’en sortir vivant.
Lire son histoire, c’est lire une des avancées les plus spectaculaires sur la survie en pleine mer. Une fois que l’on sait ça, les frissons nous parcourent, l’horizon se dessine et la lecture se poursuit.
Naufragé Volontaire, de Alain Bombard, chez Arthaud.
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