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Au Canada, une superficie moyenne de quatre millions d’hectares de forêt part en fumée chaque année. Mais malgré les idées reçues, ces incendies sont nécessaires à la survie de la forêt boréale. Réduit en cendres, le carbone présent dans la matière végétale constitue de précieux nutriments pour l’écosystème qui se régénère dès le printemps suivant.
Ces feux de forêts sont également à l’origine de l’apparition d’un champignon bien particulier : la morille de feu. Jules Vervust, Valentin Proult et leurs amis sont partis à la recherche de cette perle rare, dans une expédition en canoë à travers la Baie James. Ils en rapportent The Boreal Secret, un documentaire dont voici les premières images et qu’ils poursuivront le printemps prochain à travers l’Ouest canadien.
[dropcap]N[/dropcap]ous partons au Nord depuis Québec City avec deux canots et tout le matériel d’expédition. Au programme : vingt jours dans la région de la Baie James au beau milieu de la forêt boréale et de ses conifères à perte de vue.
Sous une température indécise, le soleil se pointe, l’asphalte se couvre d’eau, mais nos pensées sont au loin. Comment le périple va-t-il se passer ? Le chemin dessiné à l’aide de la carte satellite va-t-il être possible ? Va-t-on trouver ce que l’on est partis chercher ? Rien n’est sûr, c’est le début de l’aventure. Neuf heures plus tard, nous y sommes. En surplombant la vallée sinueuse de la rivière Rupert et cette impressionnante étendue d’eau, on imagine l’infini.
Nos embarcations nous paraissaient assez imposantes en ville. Mais ici et maintenant, et alors que le ciel s’assombrit, ce ne sont plus que de vulgaires coques de noix. Déchargement des voitures, chargement des canots : 150 kilos de nourriture, tentes, sacs de couchages, matériel de tournage, rustines, trousses de premiers soins, haches, couteaux, trousses de réparations, panneau solaire, batteries, GPS, kit de protection contre les ours… On peut à peine s’assoir mais qu’importe, tout y est ! Cap sur cette majestueuse rivière Rupert : nous avons 100 km à parcourir pour atteindre la forêt brûlée de l’an passé.
La première ligne est assez délicate, un vent du nord nous amène un fetch en bout de réservoir assez tumultueux, on manque de peu d’échapper le moteur à l’eau qui va nous servir pour les sections de planiols, c’est à dire sans rapides. Après un départ chaotique, nous faisons face à ces étendues vierges. On est subjugués par cette infinie diversité et tous ces tons de vert… Les voix s’estompent pour laisser place à la réflexion. Nous avalons les kilomètres. Les 80 premiers sont de taille, mais se font relativement bien ; jusqu’à ce premier point sur la carte, où nous avions prévu d’emprunter un affluent pour rejoindre le premier lac. Finalement, il y a une belle inclinaison du sol et c’est sec. Le moteur s’arrête, remplacé quasi immédiatement par un bourdonnement sourd qui ne nous quittera désormais plus. Les insectes volants avides de notre sang nous tournent autour par milliers. Il faut sortir les moustiquaires.
Premier déchargement de tout notre barda. Difficile d’imaginer que nous avons embarqué tout cela à bord de nos deux rafiots. Une autre histoire commence. Dans un décor chaotique de forêt indomptée commence une traversée périlleuse pour acheminer le matériel au milieu de cette toile de vert. Au fil des allées et retours, le matériel se fait lourd, les mollets fatiguent, les visages se transforment, les piqûres à répétitions agacent. L’envie d’atteindre ce spot sur la carte, décision prise confortablement dans un canapé, devient une obsession. Le regard se durcit. Mais qu’est-ce qu’on fout là déjà ?
Après deux jours de chaos, lessivés, quasi exténués nous atteignons cette fameuse terre dévastée par les flammes. Les portages entre les rivières, ruisseaux et lacs ont été éprouvants mais nous y sommes. Nous établissons le camp sur une plage de sable laissée par les glaciers aux abords d’un lac. Un ruisseau d’eau fraîche nous permet de maintenir la nourriture à bonne température et d’assouvir notre soif. Et pour manger, nous allons pêcher. Tout simplement. Hormis le court d’eau, qui a gardé une bande verte d’environ un mètre sur ces rives, tout est noir autour de nous. Mais la morille est introuvable.
Le doute s’installe, tout est sec, trop sec. Les cartes prévoyaient une gravité de feu plus importante avec une matière organique plus brûlée stimulant la croissance du champignon… Mais là, rien. Il n’y a rien. La 5ème journée de campement, nous décidons de prendre les canots pour nous rendre sur un terrain plus propice mais inaccessible à pied. Dès notre arrivée nous remarquons que le secteur est moins exposé au soleil, ce qui signifie un sol plus humide. La persévérance, il en faut. Le feeling est bon, chacun part dans une direction, selon son flair. On garde les yeux rivés au sol. Soudain, un cri de joie retentit dans le calme désertique. Une morille de feu ! Nous n’y croyons pas.
Ce ne sont là que quelques champignons à la saveur riche et délicate, mais quelle joie, quelle joie d’atteindre notre but, de gagner ce pari un peu fou, mêlant aventure fongique, nature ardente et bonne bouffe !
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