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Traverser un pays à la marche est un expérience unique. Certains décident de l’affronter seuls, comme Eliott Schonfeld, parti trois mois à travers l’Alaska. Théo Giacometti a quant à lui choisi de s’allier à son meilleur ami pour affronter les paysages enneigés de la Laponie suédoise, là où le soleil ne se couche jamais.
La chaleur est écrasante dans le Sud de la France en ce mois de juin. Je finis de charger ma doudoune, ma polaire et mon duvet dans mon sac. Cette nuit, quand le soleil se couchera, je prendrai la route, l’avion, l’avion encore, et enfin un bus jusqu’à Kiruna, à plus de 250 km au Nord du Cercle polaire Arctique, en Laponie suédoise. Me voilà parti avec mon ami de toujours pour une aventure inoubliable : près de 200 kilomètres à pied, en autonomie totale, à travers le territoire des Samis, des rennes et du soleil de minuit. Une histoire de marche, de neige et d’amitié.
Imagine le vent du Nord, glacial, qui fait claquer la toile de la tente, sans jamais s’arrêter, portant avec lui les pluies et les neiges du bout du monde. Imagine les journées infinies et le soleil timide qui jamais ne se couche, éclairer de sa lumière bleutée les plateaux d’altitude. Imagine nos pas, minuscules, insignifiants, avaler les kilomètres les uns après les autres, à travers les vallées sauvages et les cols, la toundra et la neige. Imagine les troupeaux de rennes au loin, dévalant les pentes et traversant les marécages, dans un silence assourdissant. Imagine-nous au milieu, deux frères en quête de liberté.
Après 16 heures de voyage, on pose enfin le pied en Laponie. Une piste, un vol par jour, un unique bus. Kiruna, 67° de latitude nord, une mine de fer et des sacs à dos restés à Stockholm. Avant même d’avoir commencé à marcher, cette aventure met déjà nos nerfs à l’épreuve. Nous en ferons plusieurs fois le constat : dans ce genre d’aventure, une grande complicité entre partenaires est vitale.
Le lendemain matin, nous arrivons finalement à Nikkaluokta, pour le départ d’un trek de dix jours le long de la Kungsleden, une piste de plus de 400 km reliant Hemavan à Abisko dont nous ne parcourrons que la partie septentrionale. Dès la première soirée cet environnement hors du commun nous déstabilise : un plafond de nuages bas et un soleil qui ne s’éteint jamais. Il semble ne plus y avoir de Nord ni de Sud, plus d’aube ni de crépuscule. Juste une lumière grise et froide, irradiant de vastes vallées où la végétation se bat pour survivre à travers les névés immortels.
En prenant de l’altitude, la neige est de plus en plus présente et les températures ne cessent de descendre. La pluie et la neige se chassent l’une et l’autre. L’appareil photo commence à faire des siennes et les affaires ont bien du mal à sécher. Mais tout au long de notre aventure, nous avons la chance d’être accompagnés par des rennes sauvages, fantômes imprévisibles du vidda. Discrets mais pas si farouches, ils nous surveillent de loin.
La fatigue, physique et nerveuse, commence à nous ronger. Nous désespérons de trouver un endroit au sec pour planter la tente et luttons depuis quelques jours contre une pluie glaciale et continue. Le pantalon colle aux cuisses, les chaussures sont trempées, les sacs humides et les nuits sont invivables. Le vent du Nord s’infiltre partout dans la tente, et gèle nos os, pourtant emmitouflés dans plusieurs épaisseurs de tissus : doudoune, bonnet, polaire et superposition de chaussettes.
Le sommeil se fait rare et agité, le sac nous use le jour, le froid nous achève la nuit. Nous nous accrochons l’un à l’autre, tour à tour bouée ou noyé. Les instants de relâchement, autour d’un jeu de carte ou d’une goutte de génépi, sont salvateurs. Ces moments de partage nous réconfortent après les longues journées de marche, durant lesquelles nous avalons les kilomètres, souvent en silence, la tête cachée sous la capuche.
Au quatrième jour, nous nous lançons dans l’ascension du Tjaktapasset, un col à 1 150 mètres d’altitude. De la neige jusqu’à la taille, cette étape de 25 kilomètres se termine à une heure du matin. Nous arrivons sur un immense plateau éclairé du soleil de minuit. Plusieurs torrents serpentent sous l’épaisse couche de neige.
Les décisions sont parfois dures à prendre : marcher encore ou faire une pause malgré le froid ? Nos corps semblent s’être entendus, quand l’un lâche, l’autre prend les devants. Comme si d’autres choix n’existaient pas : mon pote fatigue, je dois prend les commandes. Inlassablement nous nous relayons, comme tenus par une corde invisible : l’amitié.
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