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Parmi les plus belles randonnées de France, le GR©10, qui traverse l’ensemble des Pyrénées, figure en bonne place. Mais saviez-vous que cet itinéraire mythique a un cousin frontalier ?
La Senda, ou GR11 espagnol relie aussi la Méditerranée à l’Atlantique via le versant sud du massif pyrénéen, à travers la Catalogne, Andorre, l’Aragon, la Navarre et le Pays basque. Soit près de 900 kilomètres et 40 jours de randonnée sous le soleil espagnol. Un défi de taille que s’est lancé Frédéric Sibille l’été dernier, avec pour difficulté supplémentaire de capturer les paysages exceptionnels de cette traversée grâce à son (lourd) boitier argentique moyen format.
L’année dernière, après une longue période de confinement et de couvre-feu, une idée a commencé à mûrir dans mon esprit. Comme beaucoup, je ressentais le besoin vital de respirer, de m’échapper au calme, loin du béton, des tensions et de l’agitation parisienne. Un ami m’avait parlé par hasard du GR11 espagnol, chemin de randonnée qui traverse toutes les Pyrénées, de l’Atlantique à la Méditerranée.
Moi, je n’avais jamais fait de longue randonnée. Pourtant, l’idée m’a tout de suite plu. Traverser une chaîne montagneuse mais aussi un continent d’un bord à l’autre, tout en visitant un autre pays, à travers des paysages de haute-montagne… Il y avait de quoi attirer le photographe que je suis. Sans compter qu’il faut environ 38 jours pour parcourir l’intégralité du GR11 espagnol : une aventure à la mesure de mon besoin de déconnexion. J’ai commencé à me renseigner sur l’itinéraire et le matériel nécessaire. J’allais partir cet été, non sans embarquer mon Pentax 67, un boitier argentique moyen format assez lourd. Il sera mon compagnon de voyage – mais aussi mon fardeau – pour les semaines de marche à venir.
Le GR 11 est aussi appelé Senda Pirenaica – le « chemin pyrénéen » – ou plus communément la Senda. Il traverse les Pyrénées en territoire espagnol, pour environ 900 kilomètres et 40 000 mètres de dénivelé, le tout en 38 étapes du cap de Creus (Méditerranée) au cap Higuer (Atlantique), le point le plus occidental du massif.
Malgré son nom de « GR » et son balisage rouge et blanc, il n’a pourtant rien à voir avec les GR français, et surtout pas le GR©11 français, qui fait le tour de l’Île-de-France ! Créé en 1986, le GR11 espagnol est souvent appelé le « petit frère du GR©10 ». Si les deux itinéraires cheminent parallèlement de chaque côté de la frontière et passent parfois à moins de trente kilomètres l’un de l’autre, la Senda est réputée plus sportive, avec des étapes souvent plus longues et plus ardues, et une douzaine de cols au-dessus de 2 500 mètres.
D’est en ouest, la Senda franchit la Catalogne, un petit bout d’Andorre, l’Aragon, la Navarre et s’achève en Euskadi – Pays basque espagnol. Soit une grande variété de paysages – de la mer aux collines boisées du piémont jusqu’à la haute montagne, la forêt et l’océan – et de terrains – entre sentiers, pentes d’herbes et pierriers. L’itinéraire croise des lacs d’altitude, des sommets mythiques comme le pic d’Aneto, point culminant de la chaîne des Pyrénées avec ses 3 404 mètres d’altitude, et plusieurs parcs nationaux dont le parc national d’Aigüetortes, le parc naturel de Posets-Maladeta et le parc national d’Ordessa et du Mont-Perdu – dont les parois monumentales forment un haut lieu de la grimpe espagnole.
Me voilà en Espagne, heureux et excité. La veille, j’étais à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Je me rends sur la place centrale de Llança et trouve la balise rouge et blanche du GR11 espagnol : c’est parti, l’aventure commence. Je m’éloigne petit à petit de la ville pour traverser une voie rapide. Avec mon énorme sac, je ne passe pas inaperçu : des automobilistes me klaxonnent. Je rejoins un petit sentier qui longe une rivière asséchée. Me voilà enfin en pleine nature. Les premiers efforts sont intenses et la chaleur me fait douter un instant de mon entreprise… Vais-je pouvoir tenir un mois ?
Après de longues journées de marche en pleine canicule, je continue mon chemin sous le terrible soleil de Catalogne, impitoyable au mois de juin. Le paysage change et laisse place à des vallées plus humides et boisées. Je fais face à mon premier orage – inquiétant mais rafraîchissant. Bien que je sois équipé, les pierres sur le sentier deviennent glissantes et ce qui doit arriver arrive : je tombe en arrière. Mon sac amortit la chute. J’agite bras et jambes pour me relever, comme une tortue sur sa carapace, mais plus de peur que de mal, et une bonne leçon pour la suite.
Je quitte définitivement la partie orientale des Pyrénées pour la haute-montagne. Les arbres se font rares, les marmottes sifflent, les vautours tournoient dans le ciel et les les isards m’observent. En altitude, le vent souffle inlassablement et le brouillard apparaît aussi vite qu’il repart. Tous mes sens sont en alerte. Je m’habitue à ce nouveau milieu. Mon instinct se développe. Après plusieurs nuits à la belle étoile, mes rêves me semblent plus clairs et précis. Des êtres chers refont surface et me donnent du courage. Le matin, je me sens fort et lucide. Chaque effort est calculé, aucun geste n’est inutile. À l’aube, je plis ma tente et continue ma route. La marche devient automatique, une fin en soi.
Ce soir, j’ai trouvé un lieu idéal pour dresser ma tente, à côté d’une rivière. La nuit n’est pas encore là mais il fait froid et la journée de marche m’a mis k.o. Je m’endors quand j’entends soudain un cri inhumain. Un sanglier ? Un ours ? Je descends la fermeture de ma tente et me retrouve devant un cerf en plein brame. Quel spectacle. Il agite ses grands bois. J’en entends un autre au loin dans la vallée. À moins que ce ne soit l’écho de la montagne ? On se regarde quelques instants, puis il repart.
Après la traversée du Parc national d’Aigüestortes où l’on peut admirer « les Enchantés », deux aiguilles qui surplombent des lacs, j’arrive en Aragon. Je pénètre dans une autre réalité : le chemin contourne le pic de l’Aneto et le massif des Posets pour arriver au Mont-Perdu puis au canyon d’Ordesa. Cette partie du GR11 est exceptionnelle. J’en prends plein les yeux, si bien que je ne ressens plus la douleur.
Cela fait déjà plus de trois semaines que je marche tous les jours en montagne, mon corps s’est affuté. Dans ces luttes quotidiennes, j’ai pu libérer mes émotions négative et je me sens maintenant en pleine capacité de mes moyens, l’esprit vif. Sur le chemin, je rencontre des Allemands et un Espagnol. C’est avec eux que je terminerai mon périple. Après de longs moments de solitude, ce petit groupe que nous formons me donne de la force pour continuer.
À Niscle, nous arrivons devant un immense mûr vertical fait d’escaliers de roche. Je ne vois même pas le sommet, et ne peux m’empêcher de penser au mur de Game of Thrones ! Une fois au sommet, l’ambiance est tout aussi saisissante avec cette roche sombre et, au loin, l’orage qui gronde. Quand les nuages se dissipent, je découvre l’immense canyon d’Ordessa, où se poursuit mon itinéraire.
C’est le coeur gros que je dois mettre fin à mon aventure, après un mois et 500 kilomètres de marche. J’aurais tant aimé finir la traversée des Pyrénées et découvrir le Pays basque, mais des raisons professionnelles et familiales m’obligent à m’arrêter là. De Balneario de Panticosa, je fais du stop jusqu’à Laruns, en France. Là, je prendrai un bus jusqu’à Pau puis un train pour Toulouse. Le retour à la ville me laisse perplexe, mais je ne me suis jamais senti aussi bien. Si je n’ai pas pu allé au bout cette fois-ci, je garde de précieux souvenirs, quelques photographies et des marques sur le corps pour quelque temps encore.
La meilleure période pour parcourir le GR11 espagnol se situe de juin à septembre. Mieux vaut attendre juillet pour passer sans encombre les cols les plus élevés. Côté météo, vous passerez de la côte Méditerranéenne chaude et sèche à l’est, au Pays Basque frais et humide à l’ouest. Le versant sud des Pyrénées est moins enneigé et humide que son cousin français mais même en été le froid de l’altitude se fait sentir, notamment dans la partie centrale. La neige peut commencer à revenir dès le mois de septembre.
Quel que soit la saison, gardez un oeil sur les prévisions météo : les conditions peuvent évoluer en quelques heures en haute-montagne :
Depuis Perpignan – accessible en train depuis les grandes villes – des TER vous permettent d’accéder à Port-Bou, en Espagne. De là, vous pouvez prendre un autre train jusqu’à Figueres puis un bus jusqu’à Cadaques, ou bien un taxi (35€) de Port-Bou au départ de la randonnée. J’ai personnellement commencé à Llança,village facilement accessible à 10 minutes en train ou 15 minutes en bus de Port-Bou et non loin du départ officiel.
À l’arrivée au cap Higuer, des bus mais aussi des navettes maritimes permettent de rejoindre Hendaye côté français, où des trains vous ramèneront chez vous (il y a même des liaisons TGV directes vers Paris).
Si une traversée des Pyrénées nécessite du matériel ultra-léger, pour la photographie, j’ai tout de même choisi d’emporter un boitier argentique moyen format Pentax 67 avec deux objectifs et des pellicules 120mm. Malgré son poids important, j’ai opté pour ce matériel photo avant tout pour la qualité de l’image. Il impose aussi une certaine lenteur dans la pratique, une forme de contemplation que j’apprécie particulièrement pour une aventure en pleine nature. On prend le temps d’observer en détails l’environnement qui nous entoure et chaque photographie devient un projet en soi.
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