Le GR20. Ce sentier mythique traversant la Corse du Nord au Sud est réputé pour être l’un des plus exigeants et difficiles d’Europe : 15 jours en moyenne pour parcourir 180 kilomètres et plus de 10 000 mètres de dénivelé sur des sentiers rocailleux. Un défi que Charlaine et Gwenaël ont décidé de relever.
Mais ici, la montagne est reine, et chaque pas dicté par la nature sauvage et minérale de l’île de beauté. Entre difficultés physiques et météo capricieuse, l’aventure n’est pas de tout repos, mais largement récompensée par l’ambiance, les rencontres inattendues et la beauté des paysages corses.
Découvrez ici la première partie du récit de Charlaine et Gwenaël : le GR20 Nord, 9 étapes de Calenzana à Vizzavona.
Notre aventure commence au village de Calenzana endormi. On rejoint le début du sentier. On y est. Étrange sentiment, après des mois de préparation, entre l’excitation, la soif de découverte, mais aussi l’appréhension : qu’est-ce qui nous attend ?
Le sentier s’élève lentement à travers Calenzana avant de s’enfoncer dans la montagne. Il fait encore frais, le soleil n’est pas levé. Plutôt agréable pour marcher. Cette première étape fera office de test. Sommes-nous prêts, physiquement ? Le terrain est plutôt simple pour le moment mais les bâtons nous sont déjà bien utiles.
On ne tarde pas à rejoindre deux couples de Belges du même âge que nous, Christophe, Laurie-Anne, Valérie et Mathieu. On ne le sait pas encore, mais ces derniers resteront avec nous jusqu’au bout. Magie de la montagne et de ses rencontres.
On a optimisé nos sacs au maximum — plus c’est léger, mieux c’est ! — mais on porte tout de même 11 kilos chacun : nos sacs de couchage, de l’eau et des repas pour 7 jours, principalement. Le reste sera acheté au fur et à mesure, dans les bergeries et les refuges croisés en chemin. Bien sûr, on aurait pu faire plus léger, mais cela demandait un investissement matériel qu’on ne pouvait pas assumer. Il faut savoir faire des compromis !
Lors de cette première étape, comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs, Charlaine se trouve critiquée par d’autres randonneurs à propos de son appareil photo jugé « inutile » et « encombrant ». Là encore, tout est question de compromis. Pour la photographe professionnelle et passionnée qu’elle est, il était inimaginable de partir sans…
Premier refuge, Ortu di U Piobu. Premier bivouac, pour être précis. Chaque soir, on dort dans les tentes mises à disposition par les refuges. Chacun s’occupe et se repose : douche, jeu de cartes et écriture de ce récit. Avec, en bonus, un chant corse interprété par le gardien. Bienvenue sur le GR20 !
Bonne surprise : les sacs à dos ne nous font pas si mal que ça aujourd’hui ! Nos corps auraient-ils déjà compris ce qui les attendait ? La première heure de marche se fait à la frontale. Le jour se lève, peu à peu. Le ciel est dégagé. C’est magnifique. On peine à croire les prévisions qui annoncent des orages pour l’après-midi, mais on le sait tous : le temps change très vite en montagne, surtout à cette période de l’année. Mieux vaut être prudents.
Notre équipe s’agrandit, rejointe par Céline et Simon (encore un couple de Belges !) au même rythme que nous. Le paysage est immense. Il n’y a pas d’autre mot. Les sommets succèdent aux canyons, vertigineux… Nous sommes si petits au milieu de cette nature qui nous entoure. Elle dicte sa loi et notre conduite. Il faut sans cesse escalader, redescendre, faire attention aux appuis, s’aider des mains, des bâtons…
Un œil sur la montre, l’autre dans le ciel. OK, on est bon. On passe un col, un sentier, quelques murs à escalader, puis on entame la longue descente. Le terrain est poussiéreux, de petites roches roulent sous nos pieds. La glissade n’est jamais loin et les genoux souffrent. Après 2 heures de descente, on arrive enfin au refuge de Carrozzu.
3H30. On est réveillés par nos voisins de tente qui rangent leurs affaires. C’est un peu tôt, non ? Au loin, on entend le tonnerre qui gronde. Ça n’arrête pas. On décide donc de se lever, nous aussi. De toute façon, on n’arrive plus à dormir. On fait les sacs avant de retrouver Valérie et Mathieu dans la salle commune du refuge pour le petit-déjeuner.
On est sur le point de partir quand s’abat la pluie. En trombes, d’un seul coup. Bon, on va attendre un peu. 10 minutes, 20 minutes, 30 minutes. Ça ne se calme pas. On prend notre mal en patience, avec tous les autres randonneurs, mais le temps ne semble pas s’améliorer, l’orage continue de gronder.
Aujourd’hui, on doit marcher sur une ligne de crêtes puis redescendre dans la prochaine vallée. Avec cette météo, on risque de faire paratonnerre au sommet. Je dois avouer que je ne suis pas un grand fan de l’orage… ni de prendre des risques inutiles pour les vacances. Alors on patiente.
11h00. Point météo avec le gardien du refuge. La Corse est en vigilance orange mais une éclaircie se profile, juste le temps de faire l’étape. On boucle nos affaires, on mange une barre de céréales et tout le monde part, d’un seul mouvement. L’ambiance est étrange… Comme un stress collectif. On se presse, la tension est palpable.
Après avoir passé une passerelle, on grimpe le long de dalles rocheuses rendues glissantes par la pluie. Il y a des chaînes pour s’accrocher et un torrent en contre-bas. On préfère ne pas regarder. Un pas après l’autre. Tout à coup, Charlaine glisse. Pas de bien haut, heureusement. Elle se rattrape rapidement. Une belle frayeur.
On entre dans le dur. Mais il faut continuer de grimper, passer la crête coûte que coûte avant que l’orage ne revienne. Dans ces moments-là, il faut surtout garder le moral. C’est lui qui nous fait avancer. On se rend compte qu’à part notre barre de céréales, on n’a rien avalé depuis 4h00 ce matin. Il est temps de faire petite pause près d’un lac. On mange un peu et on repart, sans pouvoir prendre le temps de profiter du paysage.
On traverse enfin les crêtes puis on entame la descente vers le refuge d’Ascu Stagnu, une ancienne station de ski. Bien qu’on dorme en tente, on profite d’une douche bien chaude. Un vrai bonheur, après cette journée ! Il y a même un restaurant où l’on se fait un vrai repas avec Valérie, Mathieu, Céline et Simon pour célébrer notre victoire sur l’orage. Une pensée pour Christophe et Laurie-Anne, le premier couple rencontré, qui abandonne pour cause de douleur au genou, et pour tous les autres qui n’ont pas pu faire l’étape d’aujourd’hui.
Tous les matins, la même routine : on range nos affaires, on remplit nos poches à eau, on déjeune et on part, à la frontale. C’est la quatrième étape, considérée comme étant une des plus difficiles. Et les prévisions annoncent encore de l’orage pour aujourd’hui…
La journée commence par une longue ascension dans des éboulis, en longeant des lacs d’altitude, pour atteindre le point culminant du GR20, à 2 600 mètres. Il est aussi possible d’emprunter une variante — le GR20 compte de nombreuses variantes pour monter en difficulté ou faire un sommet — jusqu’au sommet du Monte Cinto. Culminant à 2 706 mètres, il est le plus haut sommet de Corse. Mais le temps est nuageux et la visibilité plus que limitée. Ce sera pour une autre fois, peut être.
On se couvre pour se protéger du vent qui s’est levé et on entame la descente. Le terrain est bien escarpé et instable. Charlaine se plaint de ses genoux. Plus ça va, plus elle a mal, au point de ne presque plus pouvoir avancer. Entre ma peur de l’orage d’hier, les douleurs d’aujourd’hui, le moral prend encore un coup. Le début du GR20 est connu pour être difficile, mais on ne s’attendait pas à ça.
Tant bien que mal, on finit par arriver au refuge de Tighjettu, un lieu magnifique, au bord d’une rivière. Le cadre est idyllique et l’ambiance avec les autres randonneurs très agréables. Mais le moral ne remonte pas : on ne sait pas si l’on doit continuer ou non.
Même en soulageant le genou de Charlaine, il reste encore 11 jours à tenir, sur un terrain difficile. Serait-ce un signe, un message du corps nous disant de nous arrêter là sous peine de plus graves problèmes ? En même temps, on a déjà fait les 4 premières étapes, considérées comme les plus dures. Et puis cela fait un an qu’on y pense, à ce GR20…
On ne peut pas abandonner comme ça !
On masse le genou, on pose un strap et on va se coucher. Dans le refuge, ça chante, ça joue aux cartes, c’est la fête. On préfère dormir. On prendra une décision demain, à tête reposée.
Le genou va mieux, un peu. Allez, on continue. On va prendre chaque jour comme il vient, tranquillement. On s’arrête dans une bergerie pour acheter du fromage. Le temps ne semble pas avoir d’emprise dans ce genre d’endroit. Tout est calme, loin du tumulte du sentier.
Cette courte étape se passe relativement bien et on termine l’après-midi à jouer aux cartes avec Valérie, Mathieu, Céline et Simon au refuge de Ciottulu Di I Mori. On commence à former une belle équipe, avec cette drôle d’impression de se connaître depuis des années, après seulement 4 premiers jours, intenses pour tous.
On est déjà partis depuis une heure. Le ciel est pur et étoilé. Le jour se lève, la lumière monte et on descend une petite vallée, le long d’une rivière. Le soleil du matin illumine les montagnes, un versant après l’autre. Le ciel se reflète dans l’eau, l’ambiance est magique. Voilà qui nous rappelle pourquoi on aime se lever si tôt !
Aujourd’hui marque l’étape la plus longue du GR : 23 kilomètres. Et effectivement, elle nous parait très, très longue. Peut-être parce que, pour la première fois depuis notre départ, le terrain est assez « roulant » : on peut marcher correctement et se rendre compte de la distance parcourue, en voyant les différents sommets s’éloigner, par exemple.
Cette étape passe aussi par le lac de Nino, deuxième plus grand lac de Corse, et par les pozzines, des formations végétales naturelles formant un énorme tapis de mousse parsemé de trous d’eau. Il fait beau, des chevaux sauvages broutent paisiblement. Et on profite d’un des plus beaux panoramas corses.
La suite de la journée ? Une forêt d’arbres morts, de la pluie, une arrivée au pas de course au refuge de Manganu, de l’orage. Classique.
Mais ce soir, c’est apéro et au revoir : un groupe de Catalans qui nous suit depuis le début arrête le GR demain, ils faisaient uniquement la première partie. On en profite pour faire des photos. L’ambiance est à la fête. Il y a des chants, de la liqueur de myrte… C’est aussi ça, le GR, loin des clichés « d’autoroute de la randonnée ». Allez, un dernier verre et au lit.
Une journée de plus, assez classique : départ nocturne, franchissement de la brèche de Capitello au lever du soleil avec la vue sur les lacs d’altitude de Melo et de Capitello avant une arrivée au refuge de Petra Piana. C’est beau.
3 heures du matin. Une grosse tempête nous tire du sommeil. Il pleut à grosses gouttes et il y a beaucoup de vent. Le bruit de l’eau sur la tente secouée par les rafales est infernal. Heureusement, notre abri tient bon.
Dilemme du jour : choisir notre itinéraire. Soit un passage par des crêtes avec une vue sur la vallée, soit un passage par la vallée, plus long, mais en passant par des piscines naturelles formées par des torrents… Les Belges aussi, veulent se baigner.
Le sentier longe une rivière qui s’élargit tout à coup et donne sur une vaste pinède. Les torrents façonnent la roche, la polient, créant une multitude de toboggans et de cuvettes naturelles. L’eau fraiche fait un bien fou à nos corps et à nos muscles endoloris par les efforts des jours précédents. On en profite pour manger une tomme de chèvre et un morceau de pain achetés plus tôt sur le sentier, à la bergerie de Tolla.
Le soir, au refuge de l’Onda, on mange le repas préparé par les gardiens : une soupe de légumes corse, des lasagnes à la menthe, aux blettes et au brocciu, avant de finir sur une mousse au chocolat. Chaque personne croisée depuis notre départ nous a vanté la qualité de la nourriture dans ce refuge. Effectivement, on n’est pas déçus !
On descend vers Vizzavona. Ce village fait office de séparation entre la partie Nord et la partie Sud du GR20. Le sentier rocailleux de haute montagne se transforme en piste forestière serpentant à travers les arbres. On croise de plus en plus de randonneurs, mais aussi des familles et des gens en tongs en promenade pour la journée.
Les regards se posent sur nos habits, nos sacs à dos et nos chaussures de montagne. Sont-ils seulement au courant de ce que nous avons traversé, depuis une semaine ? Savent-ils qu’au-delà du sentier bien tracé sur lequel ils se baladent, il y a des sommets bien plus élevés et escarpés, des refuges avec des gardiens incroyables, des randonneurs novices ou expérimentés venus se confronter à la montagne corse ?
Nous qui étions contents de retrouver un minimum de civilisation pour se ravitailler, on découvre deux ambiances différentes dans ce village, entre vacances pour les uns et montagne pour les autres.
Qu’à cela ne tienne, on en profite pour fêter la fin de la partie Nord avec Céline, Simon, Valérie et Matthieu autour d’un verre, d’un restaurant et d’un gâteau à la châtaigne. Selon le topo, la partie Sud est plus facile.
Enfin, normalement…
Découvrez la suite de l’aventure de Gwenaël et Charlaine sur le GR20 Sud.
Photos : Charlaine Croguennec
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