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Que ce soit sur les plus hauts sommets du monde ou à l’assaut des Munros, ces « collines britanniques », se lancer dans une ascension fait toujours son petit effet. Et c’est là une bonne nouvelle : nul besoin d’être un alpiniste aguerri ou de partir dans des contrées lointaines pour y goûter !
Après nous avoir présenté 6 courses pour débuter l’alpinisme en Europe, Eva Emmanuelidis est allée explorer la Slovénie. Attablés à Ljubljana, elle et ses amis ont alors eu l’envie de partir à l’assaut du Mont Triglav, dans les Alpes Juliennes. Deux jours d’ascension accessible, avec l’ambiance d’une nuit en refuge et la fierté d’avoir posé le pied sur le plus haut sommet du pays.
Été 2020. Attablés sur une terrasse de Ljubljana, Hermes déguste un vin blanc local pendant que je feuillète un guide touristique. Clément étudie la carte. Claire explique qu’elle préfèrerait goûter du rouge. « Vous pensez qu’on doit partir à quelle heure demain ? » Nous nous sommes rejoints en Slovénie après un road trip dans les Balkans.
« – On ne ferait pas l’ascension du Triglav?
– Le Triglav?
– Tu vas voir, ça a l’air sympa. »
Demain, Héléna arrive de Grèce. Alors, nous nous attaquerons au Mont Triglav. Il marque le point le plus élevé de Slovénie. Les 2 864 mètres des Trois Têtes dominent les Alpes Juliennes et incarnent la mythique ascension que « tout vrai Slovène doit avoir fait au moins une fois dans sa vie ». Quelques renseignements pris, cela devrait être à notre portée : 25 kilomètres pour 1 500 mètres de dénivelé positif, des passages exposés, mais toujours sécurisés par des aménagements. Nous sommes bien équipés et il paraît que même des enfants le gravissent… Si nous réussissons, nous serons un peu slovènes, nous aussi.
Après deux semaines sur la route, nous profitons du luxe de l’eau chaude d’un hôtel de Ljublijana pour faire un peu de lessive. La pile de linge fraichement lavé s’agrandit dans la salle de bain quand Clément toque à la porte. Claire est malade. Je propose d’annuler l’ascension. Un report n’est pas envisageable à cause des conditions, ces deux jours sont le seul créneau météo favorable. Claire refuse. D’ici quelques heures, elle essaiera de monter. Dans le pire des cas, nous ferons demi-tour. Nous convenons d’un rendez-vous deux heures plus tard afin qu’elle dorme un peu pendant que nous allons chercher Héléna à l’aéroport.
Claire, lunettes de soleil sur le nez, cache son air épuisé, assise à la terrasse du restaurant où nous nous retrouvons. Tandis qu’un cochon de lait grille dans le four à quelques mètres, nous faisons les présentations avec Thierry et Lucie. Trois jours plus tôt,
ils s’apercevaient grâce aux réseaux sociaux que nous étions dans le même pays et décidaient de nous retrouver.
Nous serons donc sept. Sept personnes aux profils hétéroclites. Thierry et Clément, médecins formés au secours en montagne, mais aussi Claire et Lucie, qui les accompagnent sur leur temps libre, ont un excellent niveau de randonneur. Hermes réalise un entrainement sportif quotidien. Je cours et pratique la randonnée régulièrement mais sans que cela devienne une caractéristique physiologique prédominante. En tout cas, pas plus que ma passion pour les desserts. Héléna, boxeuse occasionnelle, inaugure sa « liste de courses » – et de randonnées – avec l’ascension du Mont Triglav.
Nous laissons les voitures au milieu d’un bois de sapins et nous entamons la marche. Les premières heures s’écoulent lentement. Le chemin est doux. Nous passons de la forêt, ses hauts pins et son sous-bois tapissé d’épines ocres, à la moyenne montagne. Les vallées se resserrent et les premières parois calcaires éclairent le paysage. Au franchissement du premier col, la vue s’ouvre sur une vallée. Clément, Lucie et Thierry marchent devant tandis que je traîne à l’arrière en prenant des photos. Une pointe à la hanche me gêne, je crains que mes chaussures neuves ne soient à l’origine de cette sensation. Je bascule mon poids du corps à droite, la douleur s’estompe et je finis par ne plus y penser.
Les sommets du massif du Triglav apparaissent au loin, accompagnés de masses de nuages noirs. Je repense à l’avant-veille et une boule se forme dans mon ventre. À table, face à une incroyable vue sur la vallée de Logarska, l’orage tournait depuis une bonne heure quand Hermes nous demandait si nous aussi, nous entendions ce bourdonnement. Clément s’était jeté sur la porte du van. La terre s’était alors mise à trembler, comme si un séisme secouait la falaise sur laquelle nous étions arrêtés. Hermes venait d’entendre les « abeilles » : un grésillement typique des orages en montagne annonçant l’impact de la foudre.
Nous nous enfonçons au cœur des hautes montagnes slovènes et la sensation d’être dans un monde magique
s’amplifie.
C’est sous ces paysages aux airs de Mordor que nous arrivons devant le toit pointu, bardé de pin, de Dom Vodnikov. Certains marcheurs s’arrêtent à ce refuge pour une ascension du Mont Triglav. Nous continuons, impatients de franchir les premiers passages sécurisés par des câbles, indiqués quelques centaines de mètres plus loin sur le topo. Grâce à ces aménagements, le franchissement des gigantesques ensembles rocheux se transforme en jeu. La progression est plus lente que sur le chemin classique, mais beaucoup plus amusante.
Tandis que les rayons du soleil couchant allongent nos ombres, nous approchons du plateau où est posé Dom Planika. L’heure bleue n’aura jamais aussi bien portée son nom. Les roches calcaires, roses et jaunes quelques minutes avant, se transforment en doux tons froids et nous sommes soudain saisis par l’air glacé. Plus que quelques mètres et le refuge apparaît.
Un repas slovène pris, je vais me coucher tandis que le reste du groupe fait des photos des étoiles. Le dortoir sent le camphre. Deux alpinistes finissent de s’enduire de baume du Tigre en discutant dans une langue inconnue. Je vérifie que Claire, couchée depuis notre arrivée, va bien, et je m’écroule, sans penser au lendemain.
7 heures du matin. L’ascension du Mont Triglav peut vraiment commencer. La vision est surréaliste tant le bardage en bois, gris la veille, s’illumine d’une lumière rosée. Petit-déjeuner englouti, nous nous attaquons aux parois vers le sommet. À peine deux heures plus tard, nous arrivons au pied de l’Aljažev stolp. Cette petite tour en tôle constitue, depuis 1895, le plus haut refuge de Slovénie.
Le chemin rocheux est raide mais relativement facile à parcourir, car équipé comme une via-ferrata. Le plus dur est de se maintenir sur les pierres lissées par les milliers de passages et, surtout, de croiser les alpinistes, en se retrouvant parfois en équilibre dans le vide, accrochés à la seule main courante en ferraille.
Au sommet, je suis étonnée de la facilité avec laquelle nous sommes montés sur le Mont Triglav. La vue est spectaculaire. D’un côté, les crêtes que nous venons de parcourir, marquées par le passage des randonneurs. De l’autre, la paroi qui tombe sur des centaines de mètres jusqu’au refuge que nous rejoindrons quelques heures plus tard. Nous entamons une sieste près du refuge pendant qu’une star du trail donne une interview à l’équipe de tournage qui le suit. Si l’absence totale de nuage à l’horizon semble contredire les prévisions de la veille, nous préférons ne pas tarder pour entamer le chemin du retour.
La descente se révèle bien plus délicate. Les nuages redoutés finissent par apparaître au loin. Alors que nous avons évité la foule, en démarrant tôt du refuge le plus proche, nous croisons désormais les marcheurs plus tardifs, ou partis de refuges plus éloignés. Les scènes deviennent inouïes : de véritables embouteillages se créent et la progression vers l’autre face du Triglav est extrêmement ralentie.
La pointe devenue lancinante dans ma hanche. douleur ressentie brièvement la veille se réveille. Si je trouvais les rochers amusants à gravir à l’aller, je ressens de la panique à la descente, entre le vide, la file de personnes à croiser sur les crêtes étroites, la brume montante qui rend l’atmosphère humide et les cailloux glissants. Clément encorde Héléna. Je me concentre sur mes appuis pour tenter de faire disparaitre la douleur.
Lentement, nous arrivons à Triglavski dom na Kredarici, le refuge aperçu depuis le sommet. Nous nous rassasions de plats à base de sarrasin et d’Orangina frais. Depuis la terrasse en bois où nous sommes avachis, le spectacle des marcheurs, tels une colonne de fourmis descendant le long d’un chemin devenu blanc, est fascinant. Des nuages montent et les engloutissent bientôt entièrement. Imaginant le froid et l’humidité dans lesquels ils doivent se trouver, je suis soulagée que nous en ayons fini avec cette partie.
Il s’agit de ne pas traîner. Nous avons encore une quinzaine de kilomètres à parcourir pour retrouver les voitures. Le sentier, s’il parait doux comparé au parcours abrupt emprunté quelques heures avant, n’en est pas moins fatiguant. Le sol, mélange de petits cailloux et de poussière calcaire, dérape. Un moment d’inattention peut vite se transformer en glissade. La descente est longue, la douleur me transperce la hanche. Finalement, je renonce à garder mon appareil photo à la main pour attraper des bâtons. Je suis soulagée d’apercevoir, enfin, les voitures. L’ascension du Mont Triglav est terminée !
La peau tannée, éreintés mais triomphants, nous passons la soirée dans un restaurant de Bled. « Et si nous retournions dormir dans la clairière aux étoiles? » Nous voilà entourés de hauts sapins noirs, une fenêtre de voie lactée au-dessus de la tête. Clément et Thierry prennent des photos en pose longue tandis que nous préparons les couchages. Au programme du lendemain: baignade dans le lac tout proche et glaces italiennes. Le repos mérité des vrais Slovènes.
En été si vous souhaitez faire l’ascension en mode randonnée, sans neige. Vérifiez bien la météo avant de partir, amenez une gourde (il y a de quoi se ravitailler sur le chemin) et de la crème solaire. En hiver, l’ascension peut s’avérer plus technique et se faire avec un guide.
La région du parc national du Triglav est très bien desservie par les transports en commun slovènes. Des bus et des trains relient quotidiennement le parc à Ljubljana et au lac Bohinj. Sinon, pour rejoindre les Alpes juliennes depuis la capitale Ljubljana, comptez moins d’une heure de voiture et un peu moins de 3 heures depuis Venise. Ljubljana et Venise sont accessibles par des vols quotidiens de Paris. Venise est aussi accessible en train (10h) ou en bus (16h) depuis la capitale française.
Les parcours sont balisés tout le long et les topo sont accessibles sur camptocamp.org, mais n’oubliez pas de vous procurer une carte papier du parc avant de partir.
Unique parc national de Slovénie, le Triglav offre de magnifiques randonnées. C’est un espace exceptionnel, protégé, où « les visiteurs sont seulement des invités ». Le camping, le bivouac hors des zones réservées, les dépôts de déchets et la circulation des véhicules à moteur y sont interdits. Lors de votre ascension du Mont Triglav, respectez la réglementation, les paysages, la flore, la faune et la tranquillité des lieux et ne laissez aucune trace de votre passage. Pour plus d’informations, lisez et signez notre Code de l’Aventure Responsable.
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