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Après une année sans chausser les crampons, Damien Bettinelli est parti dans la vallée de Zinal, en Suisse, surnommée « la couronne impériale » par ses habitants. Au programme : l’arrête du Mammouth, l’ascension du Besso et une course vers le sommet du Zinalrothorn. Mais si les paysages grandioses ont tenu toutes leurs promesses, l’expérience s’est avérée plus difficile que prévu.
16 juillet. Je retrouve Simon, guide de haute-montagne, à la gare de Chamonix. Il pleut à verse quand on monte dans le wagon, mais pas assez pour décourager deux âmes en route vers les sommets. Trois trains et deux bus plus tard, on arrive au beau milieu des montagnes suisses, dans le canton du Valais. Sous un soleil radieux, qui plus est. C’est de bon augure pour la suite.
Pour être honnête, je n’avais jamais entendu parler de Zinal avant de venir ici. Même Simon, qui a arpenté des centaines de sommets des Alpes, n’y était encore jamais allé. Si la vallée regroupe toute une série de sommets de plus de 4 000 mètres, elle vit depuis toujours dans l’ombre de son célèbre grand frère, le Cervin. Avec ses allures de montagne parfaite, lui, on le connait bien. Ne serait-ce que pour son profil pyramidal dessiné sur les barres de Toblerone. Il fait la fierté suisse et attire tout le gratin de l’alpinisme, ne laissant que peu de place à ses voisins. Pour tenter de conjurer le sort, les habitants de Zinal ont donné à leur famille de sommets le surnom pompeux de « couronne impériale ».
Notre premier objectif : atteindre la cabane du Grand Mountet, point de départ des ascensions locales. Après une journée de marche et 1 200 mètres de dénivelé avalés, on arrive au refuge trempés jusqu’aux os. Le soleil ne nous a pas suivis jusqu’ici. À travers les carreaux de la salle commune, on observe les flocons tomber, remettant tous nos plans en question. Au lieu de partir pour une itinérance sur le fil de la couronne impériale, on choisit d’enchaîner les courses à la journée en rentrant chaque soir à la cabane. On passe des heures à étudier les cartes de la vallée, à la recherche de faces ensoleillées, avant d’aller se coucher. « Qui regarde trop la météo reste au bistrot ! », comme dit Simon.
Le lendemain, les prévisions sont bonnes. On profite d’une fenêtre prévue jusqu’à midi pour partir en direction du Mammouth, une belle arête située juste au-dessus du refuge. Ne me demandez pas pourquoi elle s’appelle comme ça, je n’en ai pas la moindre idée. Une chose est sûre, elle doit nous offrir un magnifique aperçu des alentours.
Les premières longueurs se font dans la joie et la bonne humeur. En plein milieu de l’arête, Simon trouve même le temps, et le souffle, de jouer un peu d’harmonica. On poursuit en profitant du soleil qui nous a fait défaut la veille. Après de longs mois sans sortir en montagne, cette ascension est la parfaite occasion de se remettre en jambes et d’évaluer nos capacités. Les miennes, surtout. Je ne vais pas mentir, c’est loin d’être aussi facile que je ne l’imaginais. Mais je suis ravi d’être ici et excité pour la suite du programme sur la couronne impériale.
Nouvelle journée, nouvel objectif : gravir le Besso et son sommet à 3 668 mètres, avant de traverser une arête jusqu’au Blanc de Moming. En sortant du refuge, c’est le noir complet. On démarre doucement, à la lumière des frontales. On cherche l’intersection qui doit nous mener vers la face du Besso. Elle est là. On s’équipe en silence. Baudriers, mousquetons, casques. Pendant que l’on s’encorde, les sommets reçoivent tout juste les premiers rayons de soleil. La face, qui semblait si impressionnante de loin, est finalement assez accessible. Simon trace la route, on avance bien. Seules les mousses humides rendent les prises glissantes et nous jouent quelques tours.
Mais à quelques mètres du sommet, je commence à me sentir étonnamment faible. Ça fait près de sept heures qu’on est partis du refuge et le soleil tape déjà fort sur la neige fraîche. J’ai mal aux jambes, aux pieds surtout. La faute à des chaussures un peu étroites, mais pas seulement. Chaque pas nécessite un effort important. Je peine à respirer, mon esprit s’embrume. Je ne profite plus du tout du paysage, je me concentre entièrement sur le prochain pas. Et le suivant, et celui d’après. Je m’accroche.
Mais à quelques mètres du sommet, je commence à me sentir étonnamment faible…
À onze heures, on y est. J’avale une gorgée de soda dans l’espoir de me requinquer mais rien n’y fait, je suis beaucoup plus fatigué que prévu. Exténué, même. Ça tombe plutôt mal, le programme est loin d’être terminé. La suite de l’itinéraire s’affiche droit devant nous : une arête joliment aiguisée qui plonge puis remonte jusqu’au sommet suivant, le Blanc de Moming. Une première question survient rapidement : « Est-ce que je vais y arriver ? » Une seconde, plus inattendue, pointe le bout de son nez : « En ai-je vraiment envie ? » Les pensées se bousculent dans ma tête. La beauté du paysage ne parvient pas à remettre de l’ordre dans tout ça.
Ça fait des mois que j’attends ce moment. J’ai pris mon mal en patience, rêvant de ce retour en montagne. Et après deux jours ici, je maudis chaque sommet. Comment est-ce possible ? Simon peut lire le désarroi sur mon visage, et ça ne lui plaît pas. « Le guide est payé par le bonheur de celui qu’il emmène », il paraît. Je l’ai lu hier soir dans un vieil exemplaire d’Étoiles et Tempêtes de Gaston Rébuffat qui traînait au refuge.
Il tente de me rassurer, me dit qu’on peut aussi rebrousser chemin. Mais ce sera à peu près aussi long, avec le goût de la défaite en plus. L’heure tourne, il faut repartir. La neige tombée abondamment les jours précédents commence à fondre sous nos pieds. Encore une barre, un gel énergétique. J’essaie de me convaincre que ça va aller.
On redescend du Besso par le chemin emprunté à l’aller, avant de bifurquer vers le nord pour s’engager pour de bon sur l’arête tant redoutée.
Par endroits, la ligne à suivre disparaît sous la neige avec 500 mètres de vide de chaque côté. La peur s’ajoute à la fatigue et je me demande vraiment ce que je fous ici. Inspiration, expiration. En montagne, quand on n’est pas à 100 % de ses capacités, les problèmes s’empilent comme des poupées russes. Les mouvements deviennent compliqués, l’appréhension monte et le risque augmente en conséquence. En randonnée, en trail ou à vélo, quand on atteint ses limites, on peut s’asseoir sur un tronc d’arbre, marcher en se tenant les hanches ou même abandonner. Sur un sommet, il faut continuer. Chaque pas doit être précisément posé. Chaque mouvement de corde, chaque coup de piolet, chaque prise doivent être minutieusement étudiés. Il n’y a pas de place pour l’à-peu-près.
Alors que je me débats sur l’arête, Simon se balade comme un funambule. C’est rassurant mais ça ne m’aide pas à avancer. Encore un dernier ressaut exposé, recouvert de neige. Je ne vois plus Simon, mais j’entends ses encouragements. Je sais que c’est la dernière longueur. J’y suis presque. Arrivé à ses côtés, je découvre une immense étendue immaculée. Le nom de Blanc de Moming prend tout son sens. C’est fini ! Enfin presque, il faut encore descendre les 1 000 mètres de dénivelé qui nous séparent du refuge. De ce côté-là, c’est presque une promenade de santé. On serait même tentés d’accélérer le pas pour ne pas manquer les « röstis », ce plat de pommes de terre suisse servi au refuge uniquement avant 15 h 00…
De retour à la cabane du Grand Mountet, c’est la soupe à la grimace. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la journée a été rude. Je suis mort de fatigue. Bien au-delà de tout ce que j’ai connu. De la fenêtre du dortoir, j’observe les sommets alentour pendant que mes chaussures trempées sèchent près du feu.
Ce moment de calme laisse place aux doutes. Je suis là, dans un refuge paumé, à me les geler et à payer une fortune pour une bouteille d’eau. Et le pire, dans tout ça, c’est que je l’ai fait de mon plein gré. Cette virée sur la couronne impériale, je l’ai moi-même organisée et j’avais hâte d’y être. Ce soir, c’est le grand écart. Je donnerais tout pour être chez moi.
Après une dernière journée éprouvante en direction du Zinalrothorn, à 4 221 mètres, en passant par un glacier, un champ de crevasses et de séracs, on a quitté les Alpes pour rejoindre le plancher des vaches. Sur le trajet du retour, je me suis repassé le week-end en boucle, me posant sans cesse l’éternelle question : Pourquoi fait-on ça ? La réponse se trouve là-haut, sûrement.
Quelques semaines plus tard, alors que je montre les photos de cette escapade sur les sommets de la couronne impériale à mes amis, j’ai oublié toute la souffrance, tous les doutes. Je ne pense qu’à une chose : y retourner. « Allo, Simon, on repart quand ? »
Boitiers : Canon Hybride EOS R5 + EOS R6
Objectifs : focale fixe FR 35mm + objectif RF 24-105mm
Astuce : Clip (pour accrocher l’appareil à la bretelle du sac) Capture de Peak Design
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Canon
Leader mondial des technologies et des services en matière de gestion de l’image et du document, le groupe Canon développe, fabrique et commercialise un large éventail de produits optiques, incluant appareils photo, photocopieurs et imprimantes. En 2021, l’entreprise innove encore avec les boîtiers hybrides EOS R5 et EOS R6. Deux appareils « plein format » conçus pour les photographes et vidéastes professionnels comme pour les amatrices et amateurs désireux d’explorer toute leur créativité.
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