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Malgré l’intérêt des femmes pour les activités outdoor, des inégalités subsistent dans notre secteur qui demeure majoritairement masculin. Si les portes s’ouvrent et les vieux clichés semblent s’atténuer, les femmes rencontrent encore des difficultés pour se lancer, et contre toute attente, favoriser la mixité ne serait pas toujours bénéfique pour y remédier.
Une solution plus efficace résiderait dans l’aventure en non-mixité : des moments passés entre femmes pour profiter de la nature en toute confiance afin de pouvoir, à terme, évoluer à égalité avec des hommes. Une idée que nous avons souhaité éprouver à travers le projet « Marcher Devant », notre toute première aventure exclusivement féminine, disponible en film sur Youtube avec le soutien de Osprey.
Les femmes sont de plus en plus présentes sur les sentiers, les parois et les sommets. Elles représentent aussi une large part de notre communauté : 52,1 % de followers sur Instagram, 48 % d’auditrices pour notre podcast… Les films, livres et magazines mettant en valeur des figures féminines se multiplient, tout comme les festivals et évènements qui leurs sont dédiés. Les marques ne s’y trompent pas, et sont de plus en plus nombreuses à enfin proposer des équipements adaptés à la morphologie et aux pratiques féminines.
Mais des disparités persistent. Chez Les Others, nous le mesurons au quotidien quand nous cherchons des collaboratrices, aventurières, sportives, photographes, vidéastes, ambassadrices, autrices… Si nous recevons quotidiennement des propositions de la part d’hommes, elles sont encore bien rares du côté des femmes. Ainsi, sur les 100 dernières aventures publiées sur notre site, moins d’une dizaine sont signées par des autrices, et on ne trouve que trois contributrices sur les dix-neuf participants à notre quinzième volume papier.
Ce n’est pourtant pas faute de bonne volonté. Nous mettons un point d’honneur à assurer une certaine mixité dans tous nos formats. Mais quelque chose semble bloquer. Comment expliquer cet écart entre l’intérêt des femmes pour les activités outdoor et la réalité du terrain ?
L’outdoor est un secteur historiquement créé par et pour des hommes. Ces derniers y sont en majorité, que ce soit au sein des clubs, dans les entreprises, les médias, les fédérations… Et, bien sûr, en pleine nature. Dès l’enfance, les garçons sont davantage encouragés que les filles à prendre part à des activités extérieures, et le stéréotype de l’homme – blanc et hétérosexuel – triomphant des conditions extrêmes grâce à sa virilité est encore omniprésent.
Moins de modèles féminins, moins de pratiquantes, moins d’investissements, moins de matériel adapté… La boucle est bouclée. Et celles qui parviennent tout de même à pénétrer ce milieu doivent encore se battre avec l’image qu’on veut bien leur donner : hors-normes, masculinisées ou hyper-sexualisées, quand leurs réussites ne sont pas questionnées, sous-évaluées ou tout bonnement ignorées. De quoi décourager bien des femmes à s’y risquer.
Conscients du rôle que nous avons à jouer en tant que média, nous nous sommes engagés à combattre ces représentations genrées. Que ce soit au sein de notre équipe ou dans les récits que nous partageons, nous favorisons toujours la mixité, dans l’espoir d’atteindre, à terme, la parité. Malheureusement, cette stratégie semble aujourd’hui montrer ses limites. Car pour motiver les femmes à se lancer, un visage féminin au milieu d’hommes ne suffit pas. Pire encore : cela pourrait avoir l’effet opposé.
En situation de mixité, les femmes d’un groupe se trouvent reléguées aux places inférieures. C’est d’autant plus vrai dans un milieu aussi masculinisé que l’outdoor. Leurs compétences sont plus souvent remises en question. Pour être prises en considération, elles doivent fournir davantage de preuves quant à leurs capacités physiques et leur tolérance à l’adversité. En somme, il faut « être un homme parmi les hommes », comme disait la grimpeuse Catherine Destivelle, se remémorant ses premières années.
Les femmes se trouvent aussi confrontées à un sexisme dit « bienveillant » : des comportements positifs qui les maintiennent en réalité dans une position d’infériorité. Quand, sans y avoir été invité, un homme donne des conseils à une femme ou l’aide à exécuter certains types de tâches comme allumer un feu ou installer une tente, le message implicitement envoyé est : « je m’attends à ce que tu sois moins compétente que moi, donc je vais t’aider ou je vais le faire à ta place. »
À cette domination masculine répond une auto-limitation féminine : en mixité, les femmes prennent moins la parole, émettent moins d’idées et évitent les situations où elles risquent d’échouer devant leurs homologues masculins. Elles ne gagnent ainsi ni en compétences, ni en confiance et en autonomie. Condamnées, dans le meilleur des cas, au rôle de seconde de cordée.
Dans les faits, la mixité renforcerait donc les inégalités. Faudrait-il changer de boussole et partir dans la direction opposée ?
L’une des solutions face à cette situation pourrait résider dans la « non-mixité ». Cette idée, issue des milieux militants anti-racistes et féministes, propose de se retrouver entre victimes d’une même discrimination exclusivement, pour profiter d’un espace dépourvu de relations sociales de dominant à dominé, où elles peuvent agir et s’exprimer librement.
Partir à l’aventure entre femmes permettrait de s’affranchir des problématiques rencontrées en mixité. Les groupes féminins sont moins hiérarchiques, le leadership y est davantage partagé entre les membres. Il leur serait ainsi plus facile de contribuer aux tâches sans que leurs compétences soient questionnées. Elles peuvent développer leurs capacités, gagner en confiance et donc en autonomie.
Les groupes d’activités outdoor réservés aux femmes se sont ainsi multipliés ces dernières années. On peut citer Lead The Climb, Première de Cordée, Cool Adventures Make Happy Girls, Girls in Bleau, Fédér’elles, Girls to the Top ou encore le Women’s Mountain Club dont nous avions interviewé la co-fondatrice Naoimh O’Hagan dans notre 12ème volume papier. Ces groupes permettent d’accéder à des formations, du matériel, du transport et une communauté. De même, certaines structures dont des salles d’escalade proposent désormais des créneaux réservés aux femmes.
Le but de ces groupes et de ces espaces en non-mixité : qu’elles puissent, à terme, profiter de la nature seule, entre femmes, mais aussi aux côtés d’hommes, en toute confiance et sur un pied d’égalité. Car la non-mixité n’est pas une fin en soi : elle est un outil permettant de s’affirmer en situation de mixité.
La non-mixité pourrait donc être une solution pour permettre aux femmes de partir à l’aventure. C’est pour expérimenter cette idée que nous avons souhaité développer le projet « Marcher Devant ».
Pour la première fois, nous avons monté une équipe entièrement féminine, de la production au montage, soutenue par Osprey. Trois membres des Others – Laurine, Lise et moi, Solene – accompagnées de la photographe Charlotte Lindet et de la vidéaste Cécile Chabert, sont parties à Chamonix en novembre dernier. Elles y ont rencontré Nathalie Hagenmuller, qui fut la quatrième femme à devenir guide de haute montagne en France. Leur objectif : gravir le mont Buet, un sommet de 3 086 mètres surnommé « Le Mont Blanc des Dames » dont l’histoire illustre la place des femmes dans l’outdoor.
À travers ce projet, nous souhaitons offrir un exemple d’aventure exclusivement féminine pour donner aux femmes l’envie de franchir le pas. Mais aussi pour apporter une réflexion sur les comportements que les hommes peuvent inconsciemment adopter, empêchant leurs amies, leurs compagnes ou leurs sœurs de profiter de l’outdoor à leurs côtés.
Nous avons l’espoir qu’à terme, plus de femmes se lanceront sur les sentiers, entre elles, seules, ou en mixité. Qu’elles oseront prendre des initiatives, proposer des projets et mener des cordées. Qu’elles saisiront au passage leurs appareils photo, leurs caméras et leurs stylos, et nous proposeront leurs histoires pour inspirer, à leur tour, notre communauté.
Car nous en sommes convaincus : partir à l’aventure est le meilleur moyen de se reconnecter à la nature, mais aussi aux autres. Ces moments de bonheur en montagne, dans le désert ou en pleine mer, ont d’autant plus de saveur quand ils sont partagés. La nature ne fait pas de discrimination. À nous de l’imiter.
Sources :
En partenariat avec
Osprey
Marque de référence en matière de sac à dos de randonnée et de trekking, Osprey a été créée à Santa Cruz en Californie en 1974 par Mike Pfotenhauer. Leurs produits sont reconnus pour le confort de leurs systèmes de portage suspendu, et astucieusement pensés avec de nombreux accessoires. Osprey intègre des matériaux recyclés dans la conception de ses sacs à dos comme les modèles Atmos, Arcane et Archeon, et s’engage à réduire l’utilisation de revêtement à base de PFC.
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