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Au cœur de la forêt du Guanacaste, sur la côte Nord-Pacifique du Costa Rica, Milena Gutierrez ne peut retenir ses larmes quand elle repense au passé. Elle avait tout juste douze ans, dans les années 1980, quand elle a vu depuis la fenêtre de sa chambre un gigantesque arbre de quinze mètres, un poró, être abattu. Ce jour-là, elle sût qu’elle consacrerait sa vie à la préservation des arbres du Costa Rica.
Le pays a perdu près de la moitié de ses espaces boisés en seulement trente ans. Aujourd’hui pourtant, ils couvrent à nouveau 59% du territoire. Grâce au travail de militants comme Milena, devenue ingénieure forestier, mais aussi de centaines de fermiers qui ont accepté de changer leurs pratiques, le Costa Rica a retrouvé son trésor perdu. Un article à lire sur papier dans notre dernier volume.
Dans la province du Guanacasta, 7000 hectares de forêt sèche forment la station expérimentale Horizontes. David Reyes, ingénieur forestier pour la Área de Conservación Guanacaste (ACG), a la charge de sa protection, au côté de Milena Gutierrez. Horizontes fait figure d’exemple du miracle costaricien. Pourtant, dans les années 1990, cette forêt dense du Costa Rica et pleine de vie n’existait tout simplement plus. Puisque la canopée qui protège aujourd’hui de nouveau du soleil mordant avait disparu. Il n’y avait là que des étendues de pâturage aux herbes jaunes.
Une grande partie des terres ont été défrichées dans les années 1970 et 1980 au profit de l’agriculture. « Les hommes sont égoïstes. Parfois, nous favorisons les bénéfices économiques et oublions que nous faisons partie d’un vaste écosystème », regrette Milena. Les conséquences de cette monoculture furent dramatiques quand la région a souffert d’une grave sécheresse. Les troupeaux ont été décimés. Au même moment, le prix de la viande a chuté, l’élevage de bétail n’était plus rentable pour les fermiers. Enfin, le coup de grâce fut porté par la crise économique nationale. Le coût de la vie a explosé. « Nous avons touché le fond. Mais c’est parfois nécessaire pour enfin apprécier ce qui fait notre vraie richesse. »
Le pays a dû repenser son avenir, et a décidé qu’il serait vert. Votée en 1995, la loi Forestière en vigueur a banni la déforestation. Cette décision a tout changé, s’accordent à dire David et Milena. Dans un même élan, le Ministère de l’Environnement a créé de nouvelles aires protégées comme l’Área de Conservación Guanacaste (ACG), et des stations forestières comme celle de Horizontes ont vu le jour dès la fin des années 1990.
Les ingénieurs forestiers ont alors mis en place une stratégie de « régénération », laissant la forêt reprendre librement ses droits. « Nous avions encore suffisamment de ressources génétiques disponibles dans nos forêts pour espérer un bon rétablissement », précise Miléna. Ils ont replanté quelques espèces clés afin de donner un coup de pouce à la forêt, mais se sont davantage concentrés sur des mesures de protection, en combattant les feux, les chasseurs, les bûcherons et la monoculture. En quelques années, leur travail a payé.
Dans les forêts de Horizontes, le Bois d’orme (Guazuma ulmifolia) et la Rose du Brésil (Cochlospernum vitifolium) sont revenus en premier. Bénéficiant d’une croissance rapide, ces espèces colonisatrices traversent les sols durs et forment rapidement un couverture protectrice pour les plus jeunes pousses. Ensuite, sont arrivées les espèces à croissance lente comme le Courbaril (Hymenaea courbaril) et le Bois de zèbre (Astronium graveolens). Ces arbres sont des sources de nourriture et de protection essentielles pour la faune.
Lentement mais sûrement, la vie sauvage s’est développée. Les oiseaux ont niché, les insectes ont colonisé le sol et les grands mammifères tels que les jaguars, les singes ou les pécaris sont réapparus. En trois décennies, une forêt mature avait poussé et repris la terre qui lui appartenait. Un succès que David peut mesurer rien qu’en tendant l’oreille : le volume sonore naturel ne ment pas. Chaque espèce a retrouvé sa place dans l’écosystème.
Pour Nelson Brizuela, la terre est une affaire familiale. Le fermier de 69 ans a hérité d’une exploitation bovine sur laquelle il conserve intacts 38 hectares de forêt vierge. Son père aurait pu déboiser ce terrain pour agrandir les pâturages et augmenter ses revenus, mais il ne l’a pas fait. « Cette terre appartient aux animaux », répétait-il à Nelson. Il avait conscience que sa propre santé dépendait de celle de la forêt. Tout petit, Nelson aidait son père et son grand-père à mesurer les arbres, il se baignait dans les cascades et apprenait à reconnaître les oiseaux. Il a naturellement repris le flambeau.
Les fermiers comme Nelson ont joué un rôle fondamental dans la reforestation du Costa Rica. En effet, la Loi Forestière de 1995 a créé un programme de Paiement pour les Services Environnementaux (PSE) afin d’encourager la préservation d’espaces boisés sur les terres privées. La forêt est devenue une source de revenu pour les fermiers. Ils reçoivent une compensation financière pour chaque hectare qu’ils s’engagent à préserver, par un contrat. Des contrôles sont effectués par des agents forestiers comme Minor Hernández, qui surveillent les fermes grâce aux données satellites et effectuent des visites surprises sur les exploitations.
Nelson perçoit environ 2.000 dollars par an. « Ça ne dure pas plus d’un mois, mais c’est de l’argent que je n’avais pas. » Sa ferme, située près du Parc National du Rincón de la Vieja – un volcan actif de 2 000 mètres d’altitude – sert de couloir naturel aux animaux sauvages qui migrent des montagnes froides vers les plaines plus chaudes. « On dit que l’argent ne pousse pas sur les arbres, mais c’est faux ! », s’amuse-t-il.
La communauté de Dos Ríos, située elle aussi près du Parc National du Rincón de la Vieja, compte quelques douzaines de maisons, une école et un terrain de football. Dans les années 1990, une aire de protection naturelle y a été établie pour protéger la forêt voisine, bouleversant le destin de ce village d’éleveurs bovins, devenu une destination touristique. Curieusement, le terrain de football fut l’un des éléments clés dans la réussite de ce projet.
Pourtant, la population s’est d’abord rebellée. Effectivement, les habitants craignaient de perdre leur travail et de se retrouver sans revenus si les exploitations venaient à fermer. C’est grâce au football que la concorde est revenue. L’écologiste Felix Carmona, représentant de l’aire de protection, est devenu le coach officiel de l’équipe locale. « Nous devions effacer la vision du garde-forestier comme ennemi ». Au fil des matchs, la confiance s’est installée. Les villageois ont célébré les victoires et pleuré les défaites aux côtés des défenseurs de la forêt. « Au Costa Rica, soit on fait partie de la même équipe, soit on se bat », explique David Reyes.
Les grandes fermes ont vendu leurs terres à l’État pour créer des zones de conservation et les visiteurs de la ville se sont mis à changer au rythme de la régénération de la forêt. Les commerces se sont multipliés et Justino, lui, a ouvert un café. Alors qu’il sert une tablée de vététistes venus profiter de l’environnement naturel retrouvé, un car de touristes se gare devant la façade. « Les affaires se portent de mieux en mieux », se félicite l’ancien fermier.
Cent kilomètres au sud de Dos Rios, l’hacienda El Viejo compte plus de 8 000 hectares de plantations de canne à sucre. Au milieu des cultures, des parcelles de forêt ont été préservées entre les cours d’eau, et permettent à la faune de prospérer. Le caracara traverse les arbres à toute allure, les fourmis s’agitent sur les troncs d’arbres. Mais soudain, une alarme retentit : un feu vient de se déclarer sur l’hacienda, à proximité immédiate d’une zone protégée.
Le feu est la plus grande menace pour les forêts retrouvées du Costa Rica. Trente ans d’efforts peuvent partir en fumée en une seule journée. Cette année seulement, plus de 10 000 hectares ont brûlé et les incendies se sont aggravés avec le changement climatique. Près de 99% des feux de forêt sont d’origine humaine et proviennent généralement des terrains agricoles. Les cultivateurs de canne à sucre, en particulier, brûlent traditionnellement leurs cultures afin de garder uniquement la précieuse tige.
Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu. David Reyes a pour mission d’éduquer les organisations comme la Hacienda El Viejo. Avec des techniques adéquates, l’exploitation a réussi à maintenir son activité sans déclencher d’incendies, explique Pablo Carrillo, coordinateur environnemental au sein de l’entreprise. En plus de la tragédie liée à la perte d’espèces inestimables, ces incendies ont des répercussions terribles sur le tourisme et représentent un coût pour le pays. Cette année seulement, plus de 200 000 dollars ont été dépensés pour les éteindre. « La forêt a plus de valeur quand elle est vivante. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette ressource. » conclut Milena.
Le Costa Rica projette aujourd’hui d’atteindre une couverture forestière de 60% en 2030. Milena voudrait aller jusqu’à 70%. Selon elle, le pays devrait se fixer comme objectif à long terme que « toutes les terres disponibles soient utilisées au profit des forêts d’une façon ou d’une autre. » Un objectif ambitieux qui ne va pas forcément à l’encontre de l’activité économique : en plus du tourisme, certaines parcelles peuvent être utilisées pour l’extraction responsable du bois ou l’agroforesterie, explique-t-elle. Il s’agit simplement de faire converger les activités humaines avec le bien de la planète.
Milena essuie ses larmes alors qu’elle s’enfonce dans une parcelle de forêt réhabilitée. Elle ne s’attendait pas à être autant bouleversée en se remémorant le poró abattu dans son enfance. Aujourd’hui, les milliers d’arbres qui l’entourent lui rappellent ce pour quoi elle s’est battue. Certains ont déjà l’âge de sa fille, elle l’imagine, une fois adulte, parcourant ces mêmes terres, protégée par les « amis » qu’elle lui aura laissés en héritage. Une nouvelle génération est en route. Milena, David, Nelson, Justino, Pablo et tous les gardiens de la forêt du Costa Rica ont de quoi être fiers : leur pays a prouvé que le changement vers un avenir plus vert est possible.
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Essential Costa Rica
Le Costa Rica est une destination au cadre verdoyant dans une atmosphère aussi douce que paisible. Bordé à la fois par l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, ce pays d’Amérique centrale surnommé « le paradis vert » possède un patrimoine naturel remarquable, véritable concentré de paysages, entre plages, mers, forêts, volcans, montagnes et vallées. Le tout préservé au cœur de ses vingt-six parcs nationaux et aires protégées qui occupent un quart du territoire costaricien et abritent 6% de la biodiversité mondiale. En saison verte, d’avril à novembre, les pluies intenses dévoilent toute la flamboyance de la végétation et la diversité animale. En saison sèche, de décembre à avril, les températures sont chaudes et le ciel dégagé, permettant de capturer chaque instant de son séjour et d’observer la faune marine.
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