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Le Liban n’est probablement pas la première destination qui vienne à l’esprit pour le ski. Pourtant, l’étymologie même du nom du pays se rapporte au « blanc » ou au « lait », en référence au manteau neigeux qui recouvre les montagnes libanaises en hiver.
Ce trésor méconnu du Proche-Orient a attiré Stéphane Guigné et ses amis pour leur aventure en skis de randonnée annuel. Une tradition hivernale qui les mène sur les sommets enneigés de la Méditerranée. De la chaine du mont Liban à la vallée de la Bekaa en passant par le fameux Mont Hermon. Ils ont exploré en ski de randonnée les plus belles pentes du Liban pour une aventure en douceur et selon leurs envies, loin de la performance et des exploits.
Telle une tradition familiale, un anniversaire ou une fête quasi-religieuse, cette dizaine de jours autour du mois de février est venue s’inscrire à jamais dans nos agendas. Après la traversée de l’Alta Strada en Corse, en 2018, c’est au Liban que l’on s’est retrouvés cette année. Ce n’est que notre deuxième aventure tous ensemble. Mais un fil rouge semble déjà tissé. L’exploration hivernale, skis aux pieds, de massifs relativement inexploités, en quête de neige non-éternelle où peut-être dirons-nous très prochainement : « Ici, on pouvait skier, il n’y a pas si longtemps… »
Notre équipe d’aventuriers se compose d’amis d’enfance. Comme une communauté, nous avons un passé, un présent et un futur commun qui entretiennent nos relations. Alors que nos vies individuelles nous mènent vers des horizons plutôt différents. Comme une famille, chacun a son caractère, ses sautes d’humeur et ses petits défauts. Et comme une entreprise, chaque membre à son rôle bien à lui et l’investissement de tous est essentiel.
Au Liban, l’idée originelle était de réaliser la traversée intégrale en ski de randonnée du mont Liban. Sa chaîne de montagnes s’étend du Nord au Sud et divise le pays en deux. D’après nos recherches, et surtout d’après Jean Annequin – guide français ayant documenté la quasi-totalité des sommets libanais –, cette fameuse traversée n’aurait jamais été faite. Malheureusement, la météo peu clémente nous oblige à renoncer à ce défi. Nous partirons finalement en voiture afin de relier les ascensions les plus intéressantes. Un plan plus classique, mais tout aussi dépaysant.
Notre arrivée à Beyrouth nous plonge directement dans l’ambiance. Après un long interrogatoire à la douane, deux heures de bouchons pour sortir de la ville et un chawarma Labneh/Zatar dans le ventre. Nous retrouvons enfin notre Airbnb au pied des pistes, à Zaarour. C’est ici que l’aventure commence. Jusque-là, nous ne savions pas vraiment ce qui nous attendait. Mis à part Shams qui, en tant que guide de haute montagne, a préparé les étapes clés. Nous autres rookies étions surtout préoccupés par les grammes que nous aurions à porter. Bien que nous n’ayons emmené que le matériel classique pour deux jours de ski d’affilée maximum, au final.
Après une bonne nuit de sommeil et un petit-déjeuner aux saveurs locales, nous attaquons notre première ascension avec le Mont Sannine. Nous réussissons à partir skis aux pieds (et même pieds dans l’eau, pour Flo), ce qui est déjà une très bonne nouvelle si l’on en croit les récits que nous avons pu lire avant de partir.
Après quelques passages de ruisseaux au milieu de maisons abandonnées, nous remontons une belle combe de 800 mètres à 40 degrés pour arriver sur un plateau vallonné qui s’ouvre à perte de vue. Je pense alors aux étendues mauritaniennes, dans le désert du Sahara.
Nous avançons vers la station de Faraya dans l’idée de passer la nuit dans l’église au sommet. Bien sûr, c’était sans imaginer qu’elle serait fermée à clé… Encore tout excités par ce premier jour de ski libanais, nous décidons instinctivement de creuser un igloo pour nous abriter. Le plan est simple : pelleter un tunnel à l’horizontal puis décaler de chaque côté pour faire les « chambres ». Mais c’était sans comper sur Raph. Profitant des derniers rayons du soleil pour une story Instagram. Il passe à travers le toit de l’igloo, manquant d’écraser Shams qui finissait péniblement de sculpter notre nid. Silence…
Nous sommes tiraillés entre l’éclat de rire et l’envie de lui sauter à la gorge. C’est une énorme « barriolade » (nom féminin, dérivé de son propre nom de famille, caractérisant une ânerie que seul Raph pourrait faire. Nous l’avions soumis à Wikipédia il y a bien 15 ans de ça). Chacun prend sur soi et, pleins d’optimisme, nous finissons par construire une charpente bringuebalante avec nos skis et bâtons recouverts d’une couverture de survie. Un rapide lyophilisé au réchaud et nous filons au fond de nos duvets. Il est encore un peu tôt pour rigoler de cette mésaventure ! Mais ça restera un grand moment de notre aventure en skie de randonnée au Liban.
La nuit a été froide. Heureusement, les rayons du soleil sont là pour nous sortir des duvets et réchauffer nos pommettes. Telles cinq marmottes sortant d’hibernation, nous sirotons un thé avec une vue imprenable sur le lointain Qurnat as Sawda’, point culminant du pays.
Nous parcourons les 5 kilomètres de dunes qui nous séparent du sommet du Mont Sannine. Sans jamais dépoter malgré les montées et descentes à enchainer. Soyons honnêtes, le terrain est plus propice au ski nordique. Mais rien ne peut nous arrêter devant la montagne emblématique du Liban qui, visible depuis Beyrouth par temps clair, aurait inspiré bien des artistes. Il nous faut tout de même vérifier à plusieurs reprises sur le GPS que nous sommes sur la bonne colline… Ici, ni croix ni cairn pour indiquer le point culminant !
De retour à Zaarour, les sourires sont sur tous les visages. Alors que nous contemplons la grande combe qui vient de nous offrir de beaux virages sur une neige de printemps fraîchement décaillée – neige humide qui gèle la nuit et s’adoucie au soleil. Nous apercevons deux silhouettes descendre à skis. Nous faisons la rencontre d’Adevis, guide, et de son client. Amusé de tomber sur un autre groupe en skis de rando, il nous explique qu’il y a très peu de pratiquants au Liban et seulement deux guides locaux !
Ce moment nous permet de nous imprégner de la culture locale. Sur nos skis, nous sommes généralement coupés du monde. C’est là tout le paradoxe des aventures en “mono-activité” dans des coins reculés. Quand on retrouve un peu de civilisation, les échanges sont souvent plus forts et authentiques. On visite aussi des endroits qui ne sont jamais mentionnés dans les guides. On rentre dans des troquets qui sont logiquement « réservés » aux locaux, on participe à la vie des habitants et le dialogue s’installe facilement. D’autant plus avec les Libanais, qui parlent souvent très bien le français ! Bien qu’il y ait quelques stations de ski dans le pays, ils sont étonnés devant nos accoutrements et notre équipement « dernière génération ». Ici, les loueurs commencent tout juste à proposer des skis paraboliques.
Nous continuons notre périple avec la station des Cèdres. Jusque ici, nous n’avons vu que celui du drapeau ! L’emblème national qui, fut un temps, s’étendait sur des hectares, est désormais cloisonné dans une minuscule forêt clôturée et gardée, appelée Cedars of God et malheureusement fermée en cette saison. Nous contemplons donc tristement les imposants épineux, saupoudrés de blanc, derrière le grillage.
Déçus de ne pas pouvoir profiter du microclimat offert par la forêt en ce jour d’épais brouillard. Nous partons explorer au GPS une face à l’Est de la station. Malgré quelques éclaircies à la montée, nous redescendons sans aucune visibilité. Notre chambre d’hôtel et son feu de cheminée ne sont pas si mal, finalement.
Réveil avec 40 centimètres de neige fraîche et un ciel dégagé : le rêve libanais ! Après cette forte précipitation, nous jouons la carte de la sécurité et optons pour une belle pente à l’Ouest de la station. Un parfait plan incliné, blanc et complètement lisse, qui semble plonger dans une mer bleu marine à l’horizon.
Pour le coup, nous sommes loin du côté « extrême » que l’on peut imaginer à l’évocation d’une expédition en skis de randonnée. Au contraire, le terrain est idéal pour les débutants, avec de grandes pentes entre 30 et 40 degrés, vierges de tout obstacle. Les conditions sont si bonnes que Shams et Tom, plus motivés que jamais, remontent pour s’offrir une deuxième descente.
À notre arrivée dans la plaine de la Bekaa, nous avons l’impression d’avoir changé de pays. Le paysage est très poussiéreux, les routes sont chaotiques, parsemées de checks-points militaires. La pauvreté se fait sentir. Nous nous arrêtons pour manger des brochettes de kefta dans une boucherie où d’énormes morceaux de viande pendent à l’air libre au-dessus de la chaussée. Cela me rappelle l’ambiance des villages reculés dans la chaîne de l’Atlas, au Maroc. Nous passons la nuit à Rachaya avant la journée la plus attendue – et la plus organisée : l’ascension du Mont Hermon.
Frontière naturelle entre la Syrie et le Liban, culminant à 2800 mètres, cet imposant sommet est une zone militaire interdite depuis des années mais accessible aux touristes depuis le début de l’année 2019, apparemment. Nous devons toutefois notre droit d’entrée à l’autre guide local, Rachaa, qui nous a obtenu l’autorisation et organisé notre acheminement en 4×4 au poste de contrôle. L’ambiance est détendue mais un militaire nous rappelle l’interdiction de prendre des photos en pointant du doigt l’appareil que j’ai en bandoulière. Notre chauffeur, Mehdi, nous conduit jusqu’à la limite neige avant de nous laisser continuer à skis. Au « parking », il y a déjà une autre voiture, celle du guide, qui encadre une équipe de freerideuses américaines pour le tournage d’un documentaire sur l’ascension du Mont Hermon.
À la montée, la vue sur la plaine désertique de la Bekaa et toute la chaîne du mont Liban, ligne blanche qui s’étend à perte de vue, est somptueuse. La météo est de notre côté cette fois-ci. Le soleil brille seul dans le ciel, la neige est fraîche des trois derniers jours et l’itinéraire est tracé par le groupe devant nous. Nous ne pouvions pas rêver mieux. Au sommet, nous discutons brièvement avec l’équipe de tournage alors que Raph se fait rappeler à l’ordre par un militaire en poste. Il est interdit de regarder du côté de la Syrie. Le guide nous explique alors que, juste de l’autre côté de la butte finale, des militaires syriens n’hésiteront pas à tirer si une personne non identifiée est en ligne de mire !
Nous prenons garde de bien redescendre par les versants libanais. Le groupe de skieuses étant resté au sommet pour tourner quelques images, nous avons le privilège de dessiner les toutes premières lignes sur la montagne. Un pur bonheur. Même si ça manque de pente à notre goût, nous flottons à toute allure en traçant de grandes courbes. Nous nous payons même le luxe d’une deuxième ascension, à mi-chemin, dans une combe légèrement plus au Nord, afin de s’offrir quelques virages de plaisir en plus.
La journée qui se termine restera gravée dans nos mémoires. Nous la célébrons autour d’un gigantesque plateau de mezzes. Après un rapide kebab à midi, impossible d’échapper aux saveurs libanaises pour dîner. D’autant plus qu’en tant que Français, il faut avouer que nous sommes reçus comme des rois. Beaucoup nous répètent qu’ils ont énormément de respect pour notre pays qui a participé à la naissance du « nouveau Liban » en y créant les principales institutions.
Au menu du soir : labneh (yaourt au thym Libanais), chenklich (fromage sec), fattouche (salade composée), houmous, brochettes d’agneau, beignets en tous genres, sauce grenade et autres délices.
Notre aventure prend fin tranquillement et nous rentrons ravis de cette expédition. Nous y avons trouvé cette bonne dose d’exploration qui nous anime, sans pour autant chercher l’exploit. Étudier les cartes en amont, s’émerveiller à la vue de nouveaux paysages, garder son sang-froid face aux imprévus et trouver des alternatives devant les aléas météorologiques. En effet, pas besoin de partir à l’autre bout du monde, ni de gravir la montagne la plus haute, la plus dangereuse, ou de le faire en un temps record.
Notre itinéraire n’était pas suggéré dans un guide touristique et les photos que nous ramenons ne prolifèrent pas déjà sur les réseaux sociaux. Loin d’un chemin tout tracé, c’est selon nos envies, à notre rythme et entre amis que nous avons construit cette aventure. Pour le groupe, c’est un souvenir de plus en commun qui ne fait que durcir le noyau de notre amitié tout en faisant germer de nouvelles envies. Alors les gars, on part où, l’an prochain ?
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