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Le Mercantour, l’Ubaye, le Queyras, la Maurienne, la Vanoise, le Mont Blanc, le Giffre, le Chablais… les Alpes françaises regorgent de vallées et de massifs tous plus beaux les uns que les autres, avec leurs propres histoires et identités. Pourquoi choisir ?
Stanislas et Hugo se sont lancé le défi du mythique GR5, ou « Grande Traversée des Alpes », qui relie les rives du lac Léman aux plages de la Méditerranée sur 620 kilomètres à parcourir en 3 à 4 semaines. Une aventure sportive — plus difficile qu’ils ne l’avaient imaginée — à travers des paysages exceptionnels.
Comme eux, misez sur la France cet été ! Au mois de juin, nous vous présentons les meilleurs spots de nature sauvage du pays sur notre compte Instagram pour préparer votre prochaine aventure.
— Ça te dirait de faire la Grande Traversée des Alpes dans un mois ?
— C’est quoi, exactement ?
— 620 kilomètres, 32 000 mètres de dénivelé positif et 60 cols à traverser.
— Allez !
Il n’en faut pas plus pour embarquer mon pote Hugo dans cette aventure sans vraiment réaliser l’ampleur du défi sportif qui nous attend. Ce n’est pas notre premier GR mais nous ne nous sommes pas préparés physiquement pour autant… et nous le réalisons dès notre départ de Menton. 1 500 mètres de dénivelé positif, avec 18 kilos sur le dos, une température frôlant les 35°C, un camelback qui fuit et aucune source d’eau aux alentours : les prochains jours s’avèrent prometteurs. Nous devons déjà revoir notre première étape à la baisse et nous arrêter après 17 kilomètres. Il est 20h30, nous sommes à Sospel. Le thermomètre est toujours très élevé en ce début d’épisode caniculaire. Nos sacs de couchages 0-5 degrés sont un handicap, même en altitude. Trop chaud à l’intérieur, trop froid à l’extérieur.
Notre aventure ne fait que commencer. Nous prenons notre premier — et dernier — dîner dans un restaurant, avant d’enchaîner les pâtes au thon quotidiennes. Après nous être installés au camping, nous prenons notre première douche sur les cinq que nous prendrons au total, torrents inclus. Inspection des pieds : une ampoule ouverte sur chaque talon et un orteil sur deux. Nous aurions peut-être dû casser un peu plus nos nouvelles chaussures. Ne pouvant cicatriser pendant le trek, ces « blessures de guerre » vont nécessiter des pansements quotidiens.
Déjà 23h00. La nuit va être courte, une jambe à l’intérieur du sac de couchage, une autre à l’extérieur. Demain, nous partons à 4h30 afin d’échapper à la canicule. Une belle montée de 1200 mètres de dénivelé en perspective pour bien commencer la journée. Nous devons atteindre la Vallée des Merveilles et son fameux col du Pas du Diable (portant parfaitement son nom…) culminant à 2 430 mètres pour palier à notre retard de la veille. Plus que 22 étapes.
— Bon… Tu veux continuer ?
— On pourrait faire la Traversée en deux fois…
Serons-nous capables de tenir un tel rythme sur plusieurs semaines ? Nous devons atteindre Saint Gingolph le 19 juillet, date butoir à respecter. Aucun jour de repos possible. Cela implique de tenir une moyenne de 26 kilomètres, de grimper 1 350 mètres de dénivelé positif (donc d’en descendre 1 350) et de passer au moins deux cols par jour. Je ne sais pas si c’est le désir d’accomplir cette aventure sportive ou seulement notre égo qui nous fait avancer, mais nous continuons. Chaque matin, étape par étape. Si la première semaine nous fait passer pour des amateurs, il en est tout autre pour les suivantes. Plus que 17 étapes.
Nous remarquons rapidement la différence avec les premiers jours. Nous parcourons de plus grandes distances entre chaque pause, nous gravissons chaque col avec plus d’entrain et nous avalons les kilomètres sans nous plaindre (sauf le premier où il nous faut chauffer les ampoules). Des ravitaillements mieux organisés (4 jours d’autonomie maximum), un délestage des crampons (peu de cols enneigés) et de nos livres (trop de fatigue le soir) ainsi qu’une meilleure gestion de la bouteille filtrante (fini les réserves de 3 litres) nous allègent le dos de quelques kilos pour la suite. Cette nouvelle organisation porte ses fruits et nous devenons de plus en plus confiants sur la réussite de cette aventure, surtout lorsque que nous atteignons Briançon qui marque la moitié de la traversée. Plus que 12 étapes.
Le moral est au beau fixe et la météo y contribue fortement. La canicule se termine au bout d’une semaine et laisse place à un climat très agréable. Les longues journées d’été nous permettent de marcher relativement tard.Mais les nuits sont moins clémentes : dormir en tente vingt-trois fois de suite est un des vrais challenges de ce GR5. Je crois qu’il n’y a rien de pire que de dormir en pente et de glisser au fond de la tente, faute de trouver un terrain adapté. Il y a aussi le sol mouillé ou le fait d’enfiler tous les matins ses affaires humides et odorantes. Quel plaisir.
La pluie est aussi souvent au rendez-vous et l’orage rôde autour de notre tente. Compter les secondes entre l’éclair et le son est très utile pour réaliser qu’il s’approche un peu trop près de nous. À deux reprises, la foudre tombe non loin de notre emplacement et nous réveille brusquement au milieu de la nuit. Premier réflexe : jeter les bâtons le plus loin possible. À l’inverse, quand nous avons la chance d’avoir une météo dégagée à 2h00 du matin, nous pouvons contempler les ciels alpins étoilés et tous ces soucis s’évaporent instantanément.
Étant données ces nuits agitées nous instaurons rapidement la tradition de la sieste après le déjeuner afin de récupérer un peu de sommeil. Rien de mieux qu’une cure de vitamine D, allongés dans l’herbe, bercés par le son d’un ruisseau et de se réveiller une demi-heure plus tard avec un chamois à quelques mètres de soi. Pour notre plus grand bonheur, nous avons droit à des visites quotidiennes de la faune locale tout au long de notre périple. Marmottes, chamois, bouquetins, gypaètes barbus, aigles, tétras lyre… J’en profite pour les photographier un à un, au grand désespoir (ou espoir) d’Hugo qui en profite pour fermer les yeux.
Je ne regrette pas d’avoir lesté mon sac à dos de trois kilos supplémentaires de matériel photographique. Le téléobjectif est très utile pour ne pas déranger les habitants de ces contrées alpines. Nous ne voulons pas interrompre deux marmottons se chamaillant ou le banc de vautours festoyant autour d’une carcasse. Je peux rester des heures à les photographier…
La routine commence à s’installer petit à petit. Réveil vers 6h45. Rangement, petit déjeuner et pliage de la tente mouillée. Nous prenons notre temps, départ tardif vers 8h00 en musique. Première partie jusqu’à 12h30, ponctuée de quelques pauses agrémentées de fruits ou de lait concentré. Sieste. Deuxième partie jusqu’à 18h30 et installation du camp. Préparation des pâtes au thon (jusqu’à en faire une indigestion). Étude de la prochaine étape et sommeil profond avant 22h00. Si notre emploi du temps ne laisse place à aucune surprise, les paysages ne cessent de nous étonner tous les jours. Plus que 6 étapes. !
Nous passons de forêts denses à de vastes étendues minérales et lunaires, de petits villages en pierre perdus à des villes industrielles bétonnées dans le fond des vallées. Le contraste entre les Alpes du Sud et celles du Nord est frappant. Les étapes du Mercantour nous marquent particulièrement. Mieux protégé, plus sauvage, avec une faune et une flore très riches… Nous comprenons l’importance du statut de Parc National. C’est également le cas de la Vanoise, aux frontières bien délimitées par les grandes remontées mécaniques. Le bivouac est d’ailleurs encore plus réglementé dans ces Parcs et n’est possible qu’à quelques endroits et sous certaines conditions. Chaque site a des règles différentes dont il est important de se renseigner au préalable.
Nous sommes étonnés de ne pas trouver d’Edelweiss dans la Vanoise, mais nous sommes ravis de ne pas croiser les loups du Mercantour. Mais il y rôde des bêtes encore plus féroces…les patous ! Nous en croisons quotidiennement dans cette région et ils sont rarement courtois. À peine entrés dans leur champ de vision nous les entendons aboyer avec agressivité. Difficile de contourner un troupeau au milieu d’un balcon… Une règle d’or : se tenir droit, ne pas le regarder dans les yeux, ne pas crier. En discutant avec différents bergers nous comprenons qu’il faut se méfier de cette race, même si les accidents sont rares. Les chiens de berger des autres régions ne se montrent pas aussi agressifs.
Passé le Queyras, l’activité humaine se fait de plus en plus pressante. Il faut grimper plus haut pour espérer voir des paysages plus sauvages. Arrivés dans le Massif du Mont-Blanc l’ambiance dans les refuges, où nous nous arrêtons pour une boisson fraîche, ne nous paraît plus aussi authentique et chaleureuse que sur le reste de la Traversée. Mais il est toujours aussi magique de se retrouver face à ce massif aux heures dorées, depuis le haut du Brévent. Le refuge de Bellachat passé, les Alpes redeviennent plus paisibles jusqu’au Chablais.
— Nous n’avons pas pris trop de retard ?
— Si on accélère la cadence, c’est encore possible d’arriver à temps !
Après avoir traversé tous ces parcs et vallées avec entrain, les derniers jours sont plus compliqués. L’absence d’un vrai lit et de repas variés commencent à peser. Nous voulons en finir au plus vite et nous réfléchissons aux premières choses que nous allons faire en rentrant. Une journée dans le canapé semble être prometteuse… Étant malade la dernière semaine, nous prenons un peu de retard. Il faut marcher 35 kilomètres sur les deux avant-dernières étapes. Plus qu’une !
Nous arrivons vers 23h00 à la Chapelle d’Abondance pour notre dernière nuit. Quelques bières dans un bar pour pré-fêter notre arrivée, quelques heures de sommeil dans un champ et départ à 5h00 du matin à la frontale pour clôturer cette traversée 20 kilomètres plus loin à Saint Gingolph. Nous nous rapprochons d’heure en heure, sans vraiment réaliser ce que nous avons finalement accompli. Nous arrivons au pied du col de Bise, dernier rempart entre nous et le lac Léman. Perchés à 1 915 mètres, nous l’apercevons enfin. Nous jetons un dernier regard sur le Mont Blanc avant d’entamer une longue descente. Notre but est à portée de main.
Nous arrivons le 19 juillet, vers 12h30. Le retour à la civilisation est difficile. Nous avons perdu la notion du temps suite à cette isolation prolongée dans les montagnes, c’est comme si nous étions partis plusieurs mois. Nous devons encore continuer et prendre le bateau pour rejoindre Lausanne de l’autre côté du lac. Au fur et à mesure qu’il nous éloigne des montagnes, nous prenons du recul sur cette expérience qui semblait si chaotique au démarrage.
Ces 24 jours ont été l’occasion de sortir de notre zone de confort tant au niveau physique que moral. Dans ce type d’épreuve, le mental est plus déterminant que les jambes, et sans une amitié solide, l’épreuve aurait été tout autre. Chaque jour nous avons su nous épauler à tour de rôle. Et si par malheur nous n’avions pas le moral tous les deux, un simple Ice-tea sur la terrasse d’un refuge suffisait à recharger les batteries pour plusieurs heures…
C’est une fois chez moi, après voir pris deux douches et m’être glissé dans des draps propres, que je sens la fierté m’envahir. Après quelques jours dans mon canapé, je pense déjà à retourner dans les montagnes et à réaliser un trek encore plus long. Peut-être arriverai-je à embarquer Hugo sur le GR10 dans les Pyrénées, 920 kilomètres ? Allez, nous ne sommes plus à 300 près…
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