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S’isoler dans une cabane perdue, pour observer la faune sauvage… Un programme parfait pour tout amoureux de la nature. Si Nicolas Beraud nous racontait son aventure dans les Pyrénées, au milieu des chocards, chevreuils et aigles royaux, Emmanuel Millet-Delpech et son ami Dave sont partis vers les Alpes, avec tout leur matériel photo et une bonne paire de jumelles.
Au coeur de l’hiver, se laisser transporter par les immensités sauvages, ressentir la force de la nature, au milieu du blizzard. S’abandonner là-haut, c’est aussi apprécier la solitude, car personne n’ose s’aventurer dans ces conditions extrêmes… sauf les quelques habitants des lieux, que l’on peut apercevoir quand on est chanceux. Tels que les loups qui rodent parfois sur ces hauteurs des Alpes.
Me voici sur la route des Alpes avec Dave, un bon ami, dans l’objectif de respirer l’air pur des hautes montagnes. Nous atteignons notre parking à 14h. Le temps d’un casse-croûte, de faire les sacs et nous décollons pour 900 mètres de dénivelé. Nous entamons la première partie de l’ascension, la neige est molle, on peine à avancer. Même avec les raquettes, on s’enfonce jusqu’aux genoux. Mais il faut faire vite, la nuit ne va pas tarder à venir.
La neige devient glace pour la seconde partie de l’ascension, nos raquettes glissent à plusieurs reprises. La nuit tombe et nous ne sommes pas encore arrivés au col. Les frontales nous montrent le couloir à prendre entre les remparts de roche. Par moment, la lune apparaît entre deux vagues de brouillard, découpant les montagnes d’un fil blanc.
Nous atteignons enfin le col. Ça souffle ! On prend la direction de la cabane grâce au GPS. Elle est notre objectif, notre moteur. On n’a plus qu’une idée en tête : un bon repas chaud ! Peu à peu, on devine les contours de l’abri. La promenade de santé qui devait durer 2h30 jusqu’au col en aura finalement pris 5, plus 30 minutes pour arriver jusqu’au chalet.
On se réveille doucement dans le duvet. Le vent siffle dehors. On a hâte de savourer cette journée, de découvrir ces paysages blancs et de tenter d’observer le peuple animal des altitudes… Une fois levés, il faut faire fondre les vêtements qui ont littéralement gelé. Trempés par la neige, on ne pouvait pas les garder avec nous dans les duvets. Pour vous faire une idée, dans le noir, difficile de faire la différence entre une chaussette ou une pierre !
Dehors se joue un vrai ballet de danse classique : les particules de neige flottantes s’envolent, voltigent et virevoltent dans les airs. Munis de nos jumelles, on décide d’enchaîner les sommets pour mieux observer, scanner, scruter chaque recoin des montagnes alentours. Ce n’est que plusieurs heures plus tard que deux points noirs apparaissent : ce sont des bouquetins, perchés sur le flanc d’une pente enneigée. Excité par le fait d’en voir enfin, j’avance d’un bon pas. Mais les distances sont longues, le copain préfère rester en retrait. La nuit tombe vite. Le temps de les observer quelques minutes, et je me fais absorber par une immense vague de brouillard. En espérant que la chance nous sourira de nouveau demain…
Il est 7h, le réveil sonne dans le refuge. Dave émerge, mais reste discret. Malheureusement pour lui, il a mal digéré son plat lyophilisé d’hier soir. Il préfère rester au chaud dans son sac de couchage. Pendant ce temps, je prends un bol énergétique, une boisson chaude, puis prépare mes affaires. Je décolle à 8h pétantes.
J’arrive à la colline où l’on avait aperçu les bouquetins la veille. La visibilité est réduite en raison du brouillard, du blizzard et de la neige. Seulement dix minutes après que je me sois installé, alors que j’attendais patiemment les bouquetins, un animal de la taille d’un chien de berger fait son apparition dans le paysage blanc, et serpente entre les sapins. Puis un second se dessine, un troisième, et un quatrième… Non, ce ne sont pas des chiens, mais bel et bien une meute de neuf loups qui arrive dans ma direction !
Des frissons se répandent partout en moi. Ce mythe vivant, tant rêvé, passe à quelques centaines de mètres en-dessous de mon poste d’observation, sans même me repérer. Les conditions extrêmes perturbent tous leurs sens. Ils courent, s’arrêtent, marchent, s’enfoncent dans la neige, jouent entre eux. La scène dure environ cinq minutes, je les suis depuis le viseur de mon appareil photo. Puis ils disparaissent derrière le rideau blanc. Fin du spectacle. Difficile de croire ce qu’il vient de se passer, le regard reste suspendu à l’horizon. Un mirage. Ces instants magiques resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Dave me retrouve un peu plus tard dans la matinée, je lui raconte tout, lui montre les photos. Il n’en croit pas ses yeux, et reste sans mot. Nous faisons un petit tour avant de retourner au chalet. Au chaud, on récupère quelques forces en buvant un verre de schnaps au miel luxembourgeois. Une éclaircie nous permet de faire un tour de jumelles avant la sortie photo du soir. Rien à signaler. On grimpe plus haut sur un sommet pour avoir une meilleure vue.
« Là-bas ! » Deux bouquetins mâles, au loin, grattent le sol sous un sapin, libérant l’herbe prisonnière de la neige. Nous tentons une approche. Ils nous repèrent, mais continuent leurs activités sans crainte. Ils ne sont maintenant qu’à dix mètres à peine, derrière une petite butte. L’odeur de bouc se fait sentir ! À les entendre, on devine chacun de leur mouvement. En levant un peu la tête, on aperçoit les cornes immenses et imposantes du vieux mâle. Les falaises enneigées en arrière-plan donnent une impression d’immensité vertigineuse. La nuit arrive bientôt, il est temps de rentrer.
Les températures sont descendues très bas cette nuit. Le vent a redoublé d’intensité depuis hier soir. Il a même neigé à l’intérieur de la cabane ! Les flocons profitent des moindres fissures… Nous avons dormi sous les couchettes, à même le sol, avec une bâche sur nous pour éviter que la neige ne fonde et gèle sur nos duvets.
Au petit matin, les nuages ont disparu. Les montagnes alentours se réveillent doucement, laissant peu à peu apparaître leurs faces blanches tournées vers l’est. C’est au tour du soleil de passer la ligne d’horizon. Il ramène un peu de vie dans ce monde figé par le froid.
Une boule blanche bouge au loin, je regarde aux jumelles. Un lagopède ! En même temps que je fais signe à Dave de venir, je sors le téléobjectif du sac et le visse au boîtier. Il s’envole. Il part rejoindre son partenaire. D’un mimétisme parfait, le lagopède alpin a sorti sa robe hivernale dans ce décor blanc. Il peut ainsi affronter les rudesses du climat, et rester à l’abri des prédateurs. Ils sont peu farouches, mais pas faciles à repérer. On reste quasiment une heure à une dizaine de mètres seulement de ce couple, pour notre plus grand bonheur.
En même temps, la falaise des bouquetins s’est repeuplée. Il y en avait pas plus de deux ces derniers jours, elle en compte maintenant dix-neuf ! Malheureusement, il est déjà temps de repartir. On contemple une dernière fois le site, avant de prendre le chemin du retour… Pouvions-nous rêver d’un plus beau début d’année ?
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