Dans notre volume 5, la photographe Laura Austin nous parlait des voyages en solitaire qu’elle se réserve à chaque nouvelle année, comme une forme de thérapie personnelle, une nouvelle chance d’appuyer sur son propre bouton « reset ». C’est un peu dans cet esprit qu’est parti Clément Dartigues pour sillonner le Grand Ouest américain. Une certaine idée de l’aventure et de la liberté, qui lui réserve bien des surprises.
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Me voilà enfin parti de Portland. Deux mois que je prépare ce road-trip… Les derniers jours de boulot sont de plus en plus longs. Je n’ai qu’une seule chose en tête : partir et profiter un maximum de mon temps libre avant que mon Visa n’expire… Ce voyage est devenu une sorte d’obsession. Plus le jour du départ approche, plus mon impatience se transforme en peur. Je me prépare à parcourir 5000 miles, seul, pendant trois semaines, en plein coeur de l’hiver.
La neige est déjà tombée plusieurs fois à Portland ces dernières semaines et je sais que les endroits que je vais traverser seront bien plus enneigés et froids qu’ici, donc certaines routes impraticables. Surtout dans le Wyoming, où la plupart sont fermées en hiver. Mais rien ne peut entamer mon enthousiasme.
Les premiers jours, je traverse tout l’Oregon d’Est en Ouest. Là, les imposantes Steen Mountains et Alvord Desert marquent la limite entre le Nevada et l’Oregon. Cet endroit est aussi magnifique que sauvage. Les populations sont rares, dans ce coin reculé. Je conduis depuis sept heures. La neige recouvre déjà les routes à certains endroits. Plus loin, un coyote se risque à traverser. Les highways se transforment en petites routes, les petites routes en chemins. Je me sens un peu perdu, un peu seul. Je suis à la fois angoissé et excité. Je ne compte pas accomplir quoi que ce soit d’exceptionnel durant ce voyage, mais ce sera une étape importante dans ma vie. Parfois, les problèmes personnels nous dépassent et l’envie de marquer une vraie rupture avec son quotidien prend le dessus. J’avais besoin de partir…
Après de longues heures de conduite où je n’ai croisé qu’une voiture et quelques cadavres d’animaux, j’aperçois enfin une étendue blanche qui s’étire à perte de vue. Alvord Desert. L’excitation monte. Tout cet espace m’appartient désormais. Pas de route, plus aucune règle… J’appuie sur l’accélérateur et file de l’autre côté du désert. Les quelques plaques de neige recouvrant le sol défilent de plus en plus vite. Je veux monter le camp avant que la nuit ne tombe. Le coucher de soleil est magnifique, mais rapidement la froideur du désert me fais oublier ce beau spectacle. Les premiers ennuis vont alors commencer. Le vent souffle fort. Allez savoir pourquoi, je décide d’utiliser mon jerrican d’essence pour démarrer le feu…
Les bûches s’embrasent instantanément. Et en une fraction de seconde je vois les flammes s’étendre sur le sol en direction du bidon. Je n’avais pas vu ce petit filet d’essence ! Il prend feu juste à côté de ma tente et de la voiture ! Par réflexe, je donne un coup de pied dans le jerrican pour l’éloigner. Et c’est désormais ma jambe qui se retrouve aspergée de carburant et prend feu. Je parviens à l’étouffer avec mes mains et de la terre. Par chance, mon jean et ma sous-couche m’ont protégé, seuls mes lacets de chaussures ont brûlé. Je recule alors la tente et la voiture afin de protéger mes affaires.
Résumons : je manque de me mettre le feu, au milieu de nulle part, après seulement trois jours de voyage. Je me sens bien stupide. Le moral est au plus bas. Je ne sais même pas si j’aurai assez d’essence pour rejoindre la highway demain. Je préfère ne pas y penser. Je vois mon bidon partir en fumée pendant plus d’une heure. J’ai les extrémités gelées. Je fais bouillir de l’eau pour remplir ma bouillotte et me glisser dans mon duvet. Je dormirai dans la voiture ce soir, le vent est trop fort. Je m’endors en regardant les étoiles par la fenêtre. Je pense à toutes les raisons qui m’ont mené jusqu’ici, et mes yeux se ferment.
Le lever du jour me redonne le moral. Le désert et les montagnes autour de moi se teintent de mille couleurs. Je profite de ce moment, puis reprends la route. Il me faut trouver une station d’essence ou je risque de tomber en rade. Je sais qu’au Sud des Steens se trouve un village de 10 habitants et une station essence.. qui n’ouvre qu’au printemps et en été. Mais je décide de tenter le coup. Après une heure de route, j’arrive au village. Coup de chance : la station digne d’un western est ouverte ! Je fais le plein et repars. Je dois être à Yellowstone dans deux jours pour rencontrer un guide et partir observer la faune sauvage. C’est un rêve de gosse, je ne veux manquer ça pour rien au monde. Mais il me faut d’abord traverser tout l’Idaho et passer par le Nord du parc dans le Montana, car la neige bloque la plupart des routes.
L’incident d’hier m’a déjà fait perdre une matinée, il faut vite que je rejoigne la highway. Le GPS me fait passer par une route accidentée contournant le désert. Plus j’avance plus la route devient impraticable. La neige me ralentit. Tout à coup, je sens le volant trembler. Je pense alors au pire : la crevaison. Je m’arrête, et mes craintes se confirment… Je tente par tous les moyens de changer la roue mais le cric de mauvaise qualité et la roue de secours à moitié dégonflée m’en empêchent. J’aurais dû vérifier tout ça avant de partir. Ce début de voyage est loin de ce que j’avais imaginé… Je ferme la voiture, prends mon matériel photo et marche le long de cette route perdue.
Après une heure de marche je croise un pick up conduit par un vieil homme. Il propose de m’aider à changer la roue. Il est étrangement silencieux. Il doit se demander ce que je peux bien faire ici. Par chance, il a du matériel dans sa voiture. Avec trois crics et des bûches de bois en guise de cales nous parvenons enfin à changer la roue. Il faut encore injecter deux bombes anti-crevaison pour regonfler le pneu. Je suis prêt à repartir. Je propose de le payer, il refuse, j’insiste… Il me serre la main et me dit “un jour c’est toi qui m’aideras”, avant de repartir.
Me voilà de nouveau seul. Je roule pendant deux heures sur ces chemins perdus, à vingt miles à l’heure, afin d’éviter toute autre crevaison qui ruinerait définitivement mon voyage. Je parviens enfin à rejoindre la highway. Soulagement. La journée suivante, je traverse l’Idaho et répare la voiture. Il me reste peu de temps pour rejoindre Yellowstone. Je roule neuf heures d’un coup et parvient à rejoindre l’entrée Nord à temps. Tout est couvert de neige, les paysages sont magnifiques. Mais le meilleur reste a venir. Je m’effondre dans un motel.
Le lendemain matin, je pars avec un petit groupe et le guide vers Lamar Valley. L’endroit est aussi glacial que magnifique, et malgré des températures avoisinant les -20°C, j’oublie le froid qui transperce tous mes vêtements. Les paysages sont figés dans la neige, et seuls d’immenses troupeaux de bisons viennent fendre l’épais manteau blanc. Nous observons des élans, des bisons, des coyotes dévorant une carcasse, des loutres dans la Lamar River à moitié gelée. Et même une meute de loups, juste là, à quelques centaines de mètres… Je ne pensais pas avoir la chance d’en voir, j’en oublie toutes les galères de début de voyage. C’est un rêve de gosse qui se réalise.
Je décide de descendre vers le Sud en fin de journée. J’aurais voulu revenir ici le lendemain pour continuer mes observations, mais le froid est trop intense, je n’ai pas l’équipement nécessaire pour endurer de telles températures. Je quitte alors le parc et roule environ 7 heures. Le trajet est difficile, de nuit, sous une tempête de neige. Je suis exténué. J’atteins enfin Jackson, dans le Wyoming, une ville magnifique, au pied des immenses montagnes de Grand Teton National Park. Je m’endors dans la voiture. Au petit matin, je me réveille tôt pour aller observer les montagnes et la vallée, mais l’endroit est couvert par le brouillard et la neige. Ce sera pour une prochaine fois. Au loin, j’entends le brame des wapitis, avant d’apercevoir un troupeau dans les plaines enneigées. Je quitte rapidement les lieux en direction de Salt Lake City, dans l’Utah. J’avais repéré des sources chaudes non loin de là. Mais la route est fermée. Je décide de camper là et d’y aller à pied, le lendemain.
J’attaque ma rando à l’aube sous la neige qui tombe en masse. Après 3 heures de marche j’aperçois enfin les sources. Ce lieu reste un des plus beaux endroits que j’ai pu voir, la rivière est d’un bleu intense, et sous ces paysages enneigés l’ambiance y est unique. Ce lieu m’appartient, je me déshabille et me glisse dans l’eau, je vais rester toute la matinée ici, avant de partir en direction des grands parcs nationaux.
Les jours s’enchaînent, je commence à prendre le rythme, je suis calé sur le cycle du soleil. Ma voiture est devenue mon refuge, m’accompagnant à travers tous les parcs de l’Utah. La nuit, mes réserves d’eau gèlent et le soleil vient les réchauffer en journée. Les arches rouges et les canyons infinis se succèdent. Je pense a ma famille et à mes amis, qui fêtent Noël.
Je descends jusqu’à Page où je me prépare à partir pour White Pocket, une zone reculée dans le désert, à trois heures de route. Ça fait cinq jours que je ne me suis pas lavé. Je loue une Jeep puis me pose dans un campground ou je prends la meilleure douche de ma vie. Je tombe alors sur un couple de Bretons voyageant depuis cinq mois. Décidément les Bretons sont partout ! On passe la soirée ensemble. Je les embarque dans mon trip pour White Pocket le lendemain. On passera deux jours dans cet endroit hors du commun. Les journées sont chaudes et les nuits très froides. On se balade dans ces formations rocheuses venues d’une autre planète, sous un ciel clair et étoilé, refaisant le monde en buvant du bon whisky, offert par mes amis américains avant mon départ.
Mais ces moments de joie sont de courte durée… Le lendemain, la jeep reste ensablée et se ferme toute seule avec la pelle et nos affaires à l’intérieur, le moteur en marche. On ne comprend pas ce qui se passe… Sans réseau et au milieu du désert, il nous est impossible d’appeler du secours. La vitre étant à peine entrouverte, on passe une sangle avec une boucle et parvient à attraper la poignée de la portière. Nous laissons notre joie éclater et repartons sans encombre jusqu’à Page. Le loueur nous explique alors qu’il y a un système de fermeture de l’intérieur sur ce modèle, et qu’il lui est déjà arrivé d’aller chercher des clients coincés là-bas après plusieurs jours… Merci de nous avoir prévenus !
Je quitte tristement mes deux compagnons bretons pour continuer ma route vers Zion National Park et Bryce Canyon. Je sens la fin du voyage arriver. Je passe la nuit du premier de l’an dans des sources chaudes avec d’autres Américains, à boire des bières. Le froid est intense ce soir-là, sortir de l’eau chaude est un vrai calvaire. Je rejoins rapidement la chaleur de mon duvet. Le lendemain, je quitte les lieux et pour mes tout derniers jours de road-trip. Je traverse une partie de l’Utah et m’arrête dans des sources chaudes (encore !) dans le Nevada. La pleine lune est déjà visible au-dessus des montagnes et le soleil couchant vient éclairer la vapeur d’eau. Je ne suis pas seul sur les lieux… un school bus aménagé est garé juste à côté. Un couple d’une soixantaine d’années se relaxe dans l’eau. Je vais passer deux jours avec eux.
Venus d’Alaska, ils voyagent la plupart de l’année, avec leur chien. On partage quelques repas, bien à l’abris du froid dans leur bus, dont du saumon que Robert a lui-même pêché et conservé. Je m’attache rapidement à eux. J’ai comme l’étrange sensation d’être avec mes grands-parents, en cette fin d’année. Il m’est encore plus difficile de les quitter, les reverrai-je un jour? Je dois repartir à Portland, la fin de mon voyage aux US se termine bientôt. Nous échangeons nos contacts et ils m’invitent à venir les voir en Alaska, dans leur chalet en bois flottant. Je connais déjà la destination de mon prochain voyage…
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