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À l’extrême Nord-Ouest du continent américain, l’Alaska fascine, loin de tout, avec ses routes infinies et sa nature hostile. On pense aux récits des chercheurs d’or ou de Christopher McCandless, perdu dans cet immensité. Clément Moussière et Jeanne Mathé sont partis sur leurs traces pour un road trip de 3000 km en Alaska, l’État le plus sauvage des États-Unis.
Nous sommes partis en road trip en Alaska un peu par hasard, après des heures de discussions sur la destination de nos prochaines vacances. Nous voulions de l’espace, de la nature, du relief et surtout un endroit reculé, hors du temps. Lorsque l’un de nous a proposé l’Alaska, cela semblait comme une évidence.
Notre point de départ : Anchorage. L’arrivée en avion annonce de belles perspectives. On voit des montagnes, l’océan, et peu d’habitation. Je suis déjà loin de ma vie de tous les jours. Déconnecter, c’était justement un des objectifs de cette aventure. On s’est mis d’accord pour couper les portables le premier jour. Pas d’information, pas de réseaux sociaux, pas de nouvelles de nos proches. Nous trois, c’est tout. La première matinée, on visite la ville. Ce qui se révèle décevant : beaucoup de magasins de souvenirs, des bâtiments modernes et sans charme. Nos yeux d’européens arrogants sont marqués par la pauvreté architecturale de la ville. Il n’y a pas de vielles pierres, pas de centre historique. On comprend mieux en apprenant qu’Anchorage a été construite en 1914.
D’abord, on récupère notre camping-car, notre maison pour les deux prochaines semaines. L’intérieur est marron, terne, mais fonctionnel. Pour la touche personnelle, j’ajoute quand même une de mes photos sur la grande fenêtre du « salon ». On part faire une randonnée conseillée dans un guide, dans le parc Chugach, à la sortie de ville. Il y a du monde, le parking est plein. On n’est pas venu en Alaska pour être au milieu de la foule ! Malgré tout, l’enthousiasme nous gagne lorsque l’on voit notre premier élan, et plus on grimpe, moins il y a de marcheurs. Au sommet, on en prend plein les yeux. On découvre des montagnes à perte de vue, un paysage pelé à certains endroits et une végétation aux couleurs d’automne à d’autres. Je suis envahie par une impression d’immensité. À ce moment précis, je sais que ce road trip en Alaska va me plaire.
Le lendemain, on prend le volant et l’aventure commence. On déplie la carte – il y a peu de routes – et on trace notre parcours. On décide de passer la première semaine dans les terres et d’aller jusqu’à Fairbanks, une des dernières villes au Nord du pays, puis de faire la péninsule Kenai au Sud d’Anchorage. 3000 km nous attendent en 13 jours, il ne va pas falloir traîner.
On roule jusqu’au glacier Matanuska. La petite route qui y mène est mauvaise. Les secousses mettent le camping-car sens dessus dessous mais on sert les dents. L’air est frais, on enfile nos bonnets et on part sur le sentier. La roche noire rend le paysage lunaire avec, au loin, le blanc du glacier. Arrivés au niveau de la glace, un écriteau nous indique qu’il est interdit de s’aventurer au-delà de cette limite. On est seuls et un peu excités par tout ce dépaysement. On ne va quand même pas s’arrêter là, même si on nos baskets ne sont pas le meilleur équipement. Doucement, on marche sur la glace pour approcher le glacier de plus près.
On traverse des crevasses, la glace est bleue à certains endroits. J’ai les yeux grands ouverts et je me sens si petite au milieu de toute cette nature. J’ai peur de tomber mais mes copains sont plus rapides et je dois bien les suivre. J’entends tout à coup un cri, et vois l’un des deux glisser d’un bloc de glace et se retrouver à l’eau, les mains en l’air pour sauver son appareil photo. Heureusement, il parvient rapidement à se dégager mais il est trempé et gelé. C’est l’heure de rentrer, prudemment.
On roule jusqu’au crépuscule et on trouve un recoin à côté de la route, pour passer la nuit. Se réveiller face à la forêt a comme un petit goût de paradis. Au saut du lit, j’enfile mes chaussures. Il est tôt, il n’y a aucun bruit, des sapins, de la brume et les montagnes sous leur manteau blanc. Et je souris, heureuse d’être là, au petit matin, au milieu de nulle part. J’ai l’impression d’être à ma place, j’oublie tout et je contemple le spectacle que m’offre la nature. On boit un café brûlant pour se réchauffer et on reprend la route. La route, on en fait plusieurs heures chaque jour.
« Faire route à pied, par un beau temps, dans un beau pays, sans être pressé, et avoir pour terme de ma course un objet agréable : voilà de toutes les manières de vivre celle qui est la plus à mon goût. Au reste, on sait déjà ce que j’entends par un beau pays. Jamais pays de plaine, quelque beau qu’il fût, ne parut tel à mes yeux. Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur. » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions (1782).
Pour aller de Valdez à Fairbanks, on traverse tout l’intérieur du pays. Il n’y a qu’une voie, impossible de se tromper. Plus on va au nord, moins on croise de voitures et moins il y a de signes de vie. On traverse des étendues gigantesques où il n’y a rien, seulement la pipeline qui longe la route. Le paysage défile sous nos yeux, on ne parle plus, comme hypnotisés par ce que l’on voit. C’est le vide et c’est finalement un peu oppressant. Les larmes arrivent, les pensées fusent. Les choses se mélangent, est-ce que je suis émue par toute cette grandeur, ou par l’introspection imposée par ces nombreuses heures de route ? Le temps est incertain, on est sur le réservoir d’essence, on ne sait pas où est la prochaine station service et on avance au son de Calvin Russel.
« I’m standing at the crossroads
There are many roads to take
But I stand here so silently
For fear of a mistake »
Certains soirs, nous trouvons refuge dans le saloon du coin. On découvre la population locale. Surtout des hommes, des chasseurs, fusil au dos, élan découpé à l’arrière du pick up. Pas vraiment rassurant. Je remercie mes deux copains d’être là. Mais l’ambiance est toujours bonne, on boit des bières en écoutant des groupes de country en live. Les gens sont bon vivants, sans finesse. Je me dis que l’hostilité de l’environnement doit les modeler.
Enfin, nous arrivons au parc du Denali. En hors saison, il est possible de circuler librement et gratuitement en voiture dans le parc, mais toutes les routes ne sont pas accessibles selon la météo. Nous guettons les animaux sauvages et espérons voir des aurores boréales. Il y a peu de sentiers de randonnée alors on trace nos propres voies. Nous nous retrouvons à marcher des heures et des heures car il est bien complexe de se rendre compte des distances ici !
La marche est ardue, il y a des zones marécageuses, on doit s’enfoncer dans la mousse et traverser des buissons qui font ma taille. D’ailleurs, les seules traces de vie que je vois sont les grosses empreintes d’animaux qui jonchent le sol, j’appréhende de me retrouver face à un ours. Nos récompenses : les baies sauvages ramassées à la main et la magnificence de la nature.
« Je m’en allais dans les bois parce que je voulais prendre le temps de vivre, faire face seulement aux faits essentiels de la vie, (…) vivre profondément, sucer toute la moelle de la vie, vivre assez vigoureusement et de façon spartiate pour mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie. » Henry David Thoreau, Walden (1854).
Les longues marches sont aussi l’occasion de réfléchir. Je me dis que je suis reconnaissante de faire partie de ce monde, de cette terre, et que je dois l’approcher avec humilité. Je me sens libre ici, sans contrainte. Ma vie de citadine me paraît si loin. Mais je vois aussi la puissance de la nature. On évolue dans un environnement rude où l’on peut facilement être pris au piège des éléments. La nature nous soumet et je ne sais plus bien si c’est cela la liberté.
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