L’Argentine, ses grandes étendues désertiques, la cordillère des Andes, les chutes d’Iguazu, la Patagonie ou encore l’asado… Mais à l’écart des sentiers les plus fréquentés se trouve la région de la Puna. Riche en salars et en lithium, elle est aujourd’hui de plus en plus convoitée par les industries. Tom Tubiana est parti pour quelques jours de road trip à travers les déserts de sel, les volcans en activité et les roches colorées.
[dropcap]P[/dropcap]our un grand nombre de voyageurs, l’Argentine est un passage obligé et je dois bien avouer que je n’échappe pas à cette règle. C’est à l’occasion d’un mariage que mon aventure dans ce vaste pays s’est dessinée. Après de longs mois d’attente, nous prenons enfin l’avion direction Tucuman, ville située dans le nord-ouest du pays où nous retrouvons sur place une dizaine d’amis qui a fait le même voyage.
Après quelques jours intenses et festifs, le mariage touche à sa fin et le groupe ne tarde pas à s’éparpiller, tout le monde n’ayant pas la même feuille de route. Je prends la direction de Salta avec trois autres amis. Ce sera le point de départ de notre expédition au cœur de la Puna. Cette région reculée située aux confins du pays, coincée entre le Chili et la Bolivie, fait partie intégrante de la chaîne des hauts plateaux andins. Nous arrivons en ville en fin d’après-midi après une route forte en émotions. Il y a bien sûr les paysages traversés, mais ce trajet est surtout marqué par nos multiples rencontres avec les poids lourds argentins, synonymes de belles sueurs froides.
Le lendemain, nous avons rendez-vous avec Gustavo, un guide local de haute montagne avec qui nous vivrons durant les trois prochains jours. Il est 6 heures du matin quand notre réveil sonne et après un petit déjeuner avalé en vitesse, on le retrouve devant l’auberge. Les présentations faites et nos sacs à dos solidement fixés dans la benne du pick-up, nous prenons non sans excitation la route de la Puna.
Durant les premières heures de voyage, Gustavo nous met en garde contre les dangers de l’altitude et nous distille les consignes de sécurité qui nous accompagneront tout au long de ce road trip. L’objectif du jour : se rendre à Tolar Grande, situé à 3500 m d’altitude. Ce petit village de 150 habitants deviendra notre camp de base pour la suite. Pour cela, nous allons devoir franchir des cols situés à plus de 5000 m, ce qui ne se fait pas sans un minimum de précautions. N’étant jamais montés aussi haut, nous écoutons ses conseils avec beaucoup d’attention.
Après une centaine de kilomètres plutôt calme, nous rentrons rapidement dans le vif du sujet. La route s’arrête pour laisser place à une piste sinueuse. L’ascension commence et nous faisons face aux premiers paysages caractéristiques de la région. Nous sommes rapidement submergés par la puissance de cette nature sauvage. Gustavo, descendant des premiers peuples indiens de la région, nous raconte avec passion l’histoire de la Puna. La voiture s’arrête régulièrement et nous contemplons durant de longues minutes ces paysages qui nous étaient encore inconnus il y a si peu de temps. Habitué au décor des Alpes, tout me semble différent ici, où le sable et la poussière sont omniprésents.
En fin de matinée, nous franchissons le col d’Abra Blanca, premier obstacle d’envergure situé à 4080 m. Après une courte pause, nous embarquons avec nous une locale qui avait installé son échoppe de souvenirs sur le bord de la route. La situation est cocasse, car depuis le début du trajet, nous n’avons croisé que quelques voitures, sans l’ombre d’un touriste à l’horizon. Refusant de monter dans la cabine, elle s’installe à l’arrière du pick-up, sous la bâche, afin de se protéger du vent et du sable. Nous la déposons dans le village en contrebas où nous déjeunons. La pause fait du bien et l’on n’échappera pas à la spécialité locale, un ragoût à base de lama qui s’avère plutôt bon.
Nous reprenons la route et les hostilités commencent. Il est très difficile pour moi de déterminer avec certitude à quelle altitude nous nous trouvons. Les paysages défilent à une vitesse extraordinaire et malgré l’ascension tout semble relativement plat, ce qui me laisse une sensation assez indéfinissable. Au fur et à mesure que nous progressons, la terre devient de plus en plus rouge. Nous passons les premiers déserts. Gustavo nous explique que la Puna détient une richesse géologique unique à la surface du globe. Richesse qui a su traverser les millénaires et offre à ciel ouvert un spectacle impressionnant. Chaque virage laisse place à un nouveau phénomène. Lorsque le soleil commence à se coucher, nous ne sommes plus très loin de notre objectif final. La voiture s’arrête au milieu de la piste. La terre se teinte de violet, le spectacle est magnifique, nous avons la sensation d’être sur la planète Mars. Le parallèle est facile.
Nous arrivons finalement à Tolar Grande pour notre première nuit. Ici, pas d’hôtel. Deux options possibles : le dortoir municipal ou dormir chez l’habitant. On choisit sans hésiter la deuxième option. L’accueil est chaleureux et les maisons disposent du confort nécessaire. Après 10 h de route, nous ne sommes pas difficiles, une douche et un lit feront parfaitement l’affaire. Les températures sont tombées, il fait presque 0 °C lorsque nous rejoignons la seule auberge du village. La nuit est sombre malgré le parterre d’étoiles, j’écris ces quelques lignes et le sommeil se fait rapidement sentir.
Le deuxième jour, le réveil est matinal, une randonnée sur les dunes d’El d’Arenal non loin du village nous attend. Au premier effort, l’altitude se fait sentir, le souffle est court et les jambes sont lourdes de la veille. Après avoir crapahuté une petite heure, nous arrivons au point culminant qui offre un panorama exceptionnel sur les volcans chiliens. On aperçoit au loin le Llullaillaco, deuxième volcan actif le plus haut du monde, et le salar d’Arizaro. Nous traverserons le salar dans l’après-midi pour nous rendre au Cône d’Arita, une mystérieuse pyramide naturelle située au milieu du désert de sel. C’est un événement géologique encore non expliqué à ce jour. Après avoir lu plusieurs théories invraisemblables à son sujet au cours de quelques recherches, j’ai eu l’envie de le voir de mes propres yeux et de pouvoir mener ma propre enquête. Finalement, au bout de ce voyage, aucun argument ne me convint réellement. Si la piste d’un petit volcan souterrain à l’époque où le salar était encore une mer intérieure semble être la plus probable, elle est de loin la moins romantique.
Nous faisons le chemin en sens inverse pour revenir vers Tolar Grande. Le soleil se couche et je m’isole sur une des hauteurs du village pour l’observer en train de se coucher. Il passe lentement derrière les montagnes jusqu’à disparaître complètement. Principalement occupée par des mineurs travaillant l’extraction du lithium, la vie à Tolar Grande est aux antipodes de ce que je connais. Les conditions extrêmes et le ravitaillement difficile appellent à la plus grande prudence. Chaque geste compte, les ressources sont rares et le gaspillage est proscrit. On réapprend à vivre, profitant du strict minimum, tout en appréciant la nature autour de nous. Chaque habitant dégage une force et une résistance rare, partager leur vie durant ces quelques moments se révèle véritablement inspirant. C’est probablement ce que j’étais venu chercher en venant ici.
Le dernier jour de trip arrive et nous quittons Tolar Grande des souvenirs plein la tête. La fin du voyage se profile à l’horizon. Gustavo, toujours d’humeur égale nous fait faire un détour pour traverser un nouveau salar, cette fois-ci d’un blanc immaculé. Il a emporté avec lui une petite surprise et seuls au milieu de ce désert, nous dégusterons des empanadas que nos hôtes de la veille nous ont mijotés pour l’occasion. Nous pensons être arrivés à la fin du périple, mais sur le retour, la piste chaotique nous joue un tour. Le pneu arrière gauche est à plat, il est midi passé et le soleil est de plomb. Nous procédons au changement dans la
douleur, tout en faisant la circulation entre les poids lourds. La réalité nous rattrape.
J’ai vécu ce voyage comme une véritable initiation, et y ai découvert un environnement que je ne connaissais pas. Une rencontre impressionnante avec la fameuse Pachamama de Gustavo ou mère Nature. La sensation d’avoir appréhendé de nouvelles montagnes avec un seul désir : l’envie d’y retourner.
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